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nation telle que la France ne peut pas se passer de matelots, le gouvernement doit soutenir la marine qui existe, et en favoriser le développement par tous les moyens qui sont en son pouvoir. Avant de dire quels sont ces moyens, achevons l’énumération des causes qui, d’après l’opinion des armateurs, poussent notre marine vers la ruine.

La question de la marine marchande est loin d’être nouvelle. Depuis que Napoléon III a conclu avec une grande audace, la seule peut-être qui honorera son règne, un traité de commerce avec l’Angleterre, certains armateurs français n’ont cessé de demander l’abolition des charges qui pèsent sur leurs armemens. Protégés jusqu’en 1860 par les surtaxes qui frappaient les pavillons étrangers, beaucoup de gros négocians de nos ports de mer ont fait depuis cette époque tous leurs efforts pour prouver qu’ils se trouvent dans des conditions d’inégalité qui les empêchent de lutter avec leurs rivaux de l’étranger. Sauf quelques concessions de peu d’importance, les plaintes de ces armateurs, quoique incessantes, n’ont pas été écoutées. Le gouvernement n’a voulu voir dans leurs doléances que le regret d’avoir perdu une protection qui en réalité n’enrichissait qu’eux.

Dès 1865, M. Béhic étant alors ministre, une commission d’enquête fut créée ; elle fut invitée à refondre le livre II du code de commerce, livre dont les principales dispositions remontent à Colbert, c’est-à-dire à deux siècles. Cette commission, dont M. Rouher faisait partie, — on ne sait pourquoi, — était composée presque exclusivement d’hommes considérables et très au courant de tout ce qui touche au commerce et à la marine. Malgré tant de capacités et de talens réunis, ce ne fut qu’en 1870 qu’on réussit à soumettre au conseil d’état un projet, dit-on, très bien conçu ; mais en raison des tristes événemens de cette époque, ce plan a disparu ou est resté lettre morte. Le 15 octobre 1873, une nouvelle commission d’enquête fut créée. Elle se composait de trente-trois membres, qui se divisèrent en trois sous-commissions et qui tinrent en très peu de temps dix-huit séances générales. Du rapport présenté par M. Dupuy de Lôme, il est résulté ce qu’on appelle l’hypothèque maritime et une nouvelle loi sur la vente des navires. A part ces deux changemens, la question de la marine marchande est encore aujourd’hui dans la même situation où elle se trouvait en 1865, à l’époque où fut instituée la première commission d’enquête.

Le 7 juin de cette année, plus mécontens que jamais, les armateurs et les délégués de nos principales villes de France se sont réunis en congrès, à Paris, pour faire connaître au pays la décadence de leurs armemens et porter leurs vœux devant les chambres. Nous avons sous les yeux le résumé des séances de cette réunion,