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qu’en Angleterre et qu’aux États-Unis, il est tout aussi vrai que nos arsenaux manquent d’un nombre suffisant d’ouvriers habiles, d’un outillage perfectionné et de machines-outils, qui permettent aux constructeurs d’économiser sur la main-d’œuvre. Or tout un outillage emporte-pièce, inconnu chez nous, existe dans les grands arsenaux de l’étranger. Qui pourrait croire qu’à Bordeaux on chercherait vainement une machine à scier les bois de membrure ? C’est le primitif scieur de long qui remplace sur ce marché de premier ordre la scierie mécanique. Avec de telles défectuosités dans les instrumens de travail, une cherté de main-d’œuvre qui en est la conséquence naturelle, et les hauts prix du matériel en fer et en bois, comment pourrions-nous construire des bâtimens à voiles ou à vapeur à des prix aussi bas que ceux obtenus par nos concurrens ? Comme le dit à ce propos M. J.-B. Pastureau-Labesse, ingénieur de la marine, dans un remarquable rapport qu’il vient d’adresser à la Société de géographie de Bordeaux, les chantiers français construisent les navires, alors que les chantiers américains et anglais les manufacturent.

Dans un numéro du Mémorial du génie maritime, recueil très compétent en matières maritimes et commerciales, nous avons vu la confirmation d’une remarque que nous avions faite depuis longtemps dans le cours de nos voyages, c’est que les bateaux français, à tonnage égal, ont des équipages plus nombreux que les bateaux de l’Angleterre et des États-Unis. Pour 100 tonneaux, les Américains par exemple arment leurs navires avec 2 hommes 5 ; en France, pour le même tonnage, nous armons avec à hommes 7. « J’ai vu aux États-Unis, dit M. Pastureau-Labesse, des navires de 600 tonneaux qui n’avaient que 7 hommes d’équipage. » Ces goélettes, — three masterschooners, — manœuvrent, il est vrai, leurs voiles au moyen de petits treuils placés au bas de chaque mât. Ce genre de bateau offre de tels avantages que, sur 17,236 navires à voiles qui constituent la marine commerciale des États-Unis, il y a 11,489 goélettes à deux et trois mâts. Ces bateaux, aux manœuvres faciles et économiques, ne sont presque pas d’usage chez nous, quoiqu’il en vienne fréquemment dans nos ports. Ajoutons qu’en Angleterre une moyenne d’équipage est de 2 hommes 9 pour 100 tonneaux. Cette différence d’armement est bien digne d’appeler l’attention de ceux qui s’occupent de résoudre la question de la marine marchande. Elle prouve que nos armateurs tiennent peu de compte des améliorations navales qui se produisent à l’étranger. Est-ce par économie, par habitude de protection ou par indifférence ? Quoi qu’il en soit, ils ont tout intérêt à ne pas négliger de tels progrès. Qu’ils s’aident donc, s’ils veulent que le ciel, — c’est-à-dire le gouvernement, — leur vienne un jour en aide.