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de tabac de Paris, de la part de son bon ami le roi de Naples. De retour à Londres, Mackenzie fut par hasard invité par la princesse de Galles à passer la soirée chez elle; c’en fut assez pour tomber en défaveur auprès du régent. Le commandement d’Irlande était donc une sorte de disgrâce où, pour comble de malheur, son cuisinier français l’abandonna, craignant, disait-il, de perdre sa réputation et sa vue à faire la cuisine sur un fourneau au charbon de terre. Ce n’est pas auprès de cet épicurien de bon ton que Murchison avait chance de faire un chemin rapide. Il y conserva l’habitude de dépenser plus que son revenu; le grand événement pour lui de ces années tragiques fut d’arriver à sa majorité, c’est-à-dire d’obtenir la libre disposition de son patrimoine.

En 1814, sitôt la paix conclue, il visite Paris en compagnie d’un émigré français qui, enrôlé sous le drapeau britannique, s’était trouvé en même temps que lui dans l’état-major du général Mackenzie. Le retour de l’île d’Elbe l’y surprend; il s’échappe à grand’peine au milieu des signes d’hostilité que manifeste la populace contre les voyageurs anglais. Il semble qu’il n’avait rien de mieux à faire que de rejoindre son ancien régiment, le 36e ; avec le grade de capitaine auquel il était parvenu, il avait bonne chance de prendre part à cette dernière campagne; mais non, contrairement aux conseils de son oncle, il lui prend fantaisie de passer dans les dragons. Comme dernier venu, il se voit alors désigné pour rester au dépôt, tandis que les autres se rendent en Belgique. C’était encore une occasion manquée; c’était bien la dernière que lui devait offrir le métier des armes, car la paix était faite, et pour longtemps.

Roderick Murchison, à l’âge de vingt-trois ans, avait toujours vécu jusqu’alors en désœuvré, presque en enfant prodigue; il n’éprouvait plus que du dégoût pour la profession militaire, faute d’y avoir réussi. Était-il bon à quelque autre chose? Il ne l’eût su dire lui-même, n’éprouvant aucune vocation décidée. Comme il visitait sa mère, qui habitait l’île de Wight, il fit la connaissance du général Hugonin. Celui-ci avait une fille soigneusement élevée, instruite, savante même en histoire naturelle; Murchison s’en éprit, et l’épousa presque aussitôt, quoiqu’elle eût trois ans de plus que lui. Cette fois il était bien inspiré. Cette union ne fit pas seulement le bonheur de sa vie domestique; mistress Murchison sut en peu de temps imposer à son mari la règle de conduite qui lui avait manqué pendant les années précédentes.

D’abord il donna sa démission ; le grade de capitaine en demi-solde n’avait rien d’attrayant, la vie de garnison, dont il avait fait l’expérience, ne pouvait lui plaire une fois marié. Que devenir? Le croirait-on? il eut l’idée d’entrer dans la carrière ecclésiastique. Il