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à son avis, l’agent universel qui avait fait la terre ce qu’elle est aujourd’hui.

Werner séduisait ses disciples par le charme de son enseignement, par les conséquences imprévues qu’il en faisait sortir, par les digressions ingénieuses qu’il y introduisait. Le développement des sociétés humaines, les progrès de la civilisation en divers pays, n’avaient d’autre cause que la composition minérale du sol. Ces idées, auxquelles on revient maintenant, étaient neuves alors; elles élevaient la minéralogie à la hauteur d’une science universelle. Un de ses élèves, Jameson, devint professeur d’histoire naturelle à l’université d’Edimbourg. Alors commença entre les huttoniens et les wernériens, ou, comme on disait aussi, entre les vulcanistes et les neptunistes, une querelle comparable, si ce n’est qu’il y eut plus d’ardeur, à celle que se font aujourd’hui les partisans et les adversaires de la génération spontanée ou de la transformation des espèces. Nous ne pouvons plus guère nous intéresser à ces disputes, où il y avait des deux côtés un peu de vrai et beaucoup de faux. Il en résulta du moins cet avantage, que les savans écossais se livrèrent avec ardeur aux études géologiques pendant quelque temps. Un ingénieur anglais, William Smith, dressa dès lors, autant que les connaissances de l’époque le permettaient, une carte géologique de la Grande-Bretagne. Sir James Hall, partisan déterminé de la théorie huttonienne et bon physicien en outre, imagina de curieuses expériences pour vérifier les doctrines de son maître, comme par exemple la transformation de la craie en marbre par la chaleur dans un vase clos. Enfin l’on en vint à se dire qu’il était oiseux de se quereller sur les principes lorsque l’écorce de la terre était encore si peu connue. Alors se forma une véritable école de géologie expérimentale; tous ceux qui s’intéressaient à cette science ne songèrent plus, laissant de côté les théories aventurées, qu’à parcourir le pays le marteau à la main. Cependant, dans cette nouvelle phase, les savans de la Grande-Bretagne ne suivirent pas la même voie que leurs confrères du continent. Tandis qu’en Allemagne l’influence de Werner maintenait les études minéralogiques au premier rang, tandis qu’en France les travaux de Cuvier et de Lamarck montraient l’importance de la paléontologie, en Angleterre et en Écosse au contraire on observait de préférence la stratigraphie du sol, c’est-à-dire la succession des couches dont l’écorce de la terre est composée. Cela facilitait au reste les recherches; cela permettait à des ignorans, comme Murchison l’était alors, de prendre rang parmi les adeptes d’une science qui exigeait surtout bon pied, bon œil, beaucoup de mémoire, et l’esprit de comparaison plutôt que des connaissances spéciales.