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La palme vous attend dans les champs palestins;
Imitez votre père et suivez les destins.


Le Turc lui inspire l’horreur la plus profonde :

La chrétienté
S’est mêlée avec lui, et de cet adultère
Un vipère s’est fait qui fait mourir sa mère.


Il réprouve donc l’alliance franco-turque et croit bien que c’en est fait d’elle :

Quelle convention de Christ et de Bélial!
De Seth et de Cain ! Voyez comme ce mal
Irrite ce grand dieu, que la douceur renomme,
Jusqu’à se repentir même d’avoir fait l’homme.
Nos neveux plus dévots mécroiront quelquefois
Qu’une alliance ait joint les Turcs et les François.

La régence de Marie de Médicis empêcha la guerre avec l’Autriche qui était imminente lors de l’assassinat d’Henri IV; elle remit sur le tapis les projets d’expédition contre les Ottomans. La turcophobie dont était travaillée l’opinion publique dégénéra en véritable manie. Il se produisit alors un fait inouï. Un nommé Du Pellier ou Du Pelliel, sorte de forban littéraire qui se disait gentilhomme breton, et qui voulait se faire passer pour un homme d’état fraîchement éclos, eut l’idée de donner une seconde édition de l’ouvrage de Lusinge en l’affublant de son nom à lui, Du Pellier. Il se contenta de changer l’intitulé, de transposer quelques chapitres et d’y ajouter le discours d’un esclave aux princes chrétiens, lequel n’était peut-être pas de son cru. Il s’imaginait que Lusinge, mort ou du moins retiré en Savoie, ne saurait rien de ce plagiat effronté. Malheureusement pour Du Pellier, le seigneur des Alimes, disgracié par Charles-Emmanuel à la suite du traité de Lyon, qui lui avait arraché la Bresse et le Bugey, s’était réfugié en France. Averti du larcin dont il était victime, il fit à l’imprimeur un procès retentissant, démasqua « l’affronteur » « le nouveau homme d’état, » qui avait voulu « mériter de la gloire et de l’honneur ; » enfin il le livra à la risée de toute la France et à la vindicte de la postérité. Il fit lacérer le titre des exemplaires qui n’avaient pas été mis en vente, rétablit victorieusement le nom de Lusinge sur la première page, et profita d’ailleurs de l’édition et du privilège royal obtenu par Du Pellier[1].

Si Louis XIII eût pu oublier le dessein contre les Turcs dont

  1. on peut faire la confrontation de Lusinge et de Du Pellier à la Bibliothèque nationale; comparez les exemplaires marqués J. 480 aa et J. 482 aa.