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au pape. Pour gagner plus sûrement les ecclésiastiques, on leur assignerait une pension annuelle sur le revenu des mosquées, « à condition d’adhérer aux sentimens de l’église et aux intentions du prince. » A l’avenir, on ne conférerait la prêtrise qu’à ceux qui s’engageraient à vivre dans le célibat. Défense serait faite « aux maîtres d’école » d’enseigner à lire en arménien, en chaldéen et en syriaque. Il faudrait s’en tenir à l’arabe, au turc et au franc. Par là on arriverait un jour à l’unité de rite. Car le père Justinien de Neuvy ne se contente pas de l’unité religieuse, il lui faut l’unité de rite : il ne conçoit pas que les uns puissent jeûner le mercredi, les autres le samedi, que ceux-ci solennisent des fêtes pendant que les autres travaillent, « Au reste, ajoute naïvement le capucin, notre rite et nos coutumes valent bien les leurs. » Et il conclut que ce serait aux Grecs de subir la loi du plus fort.


IV.

On ignore absolument ce que devint le père Justinien de Neuvy. Il retourna peut-être en Orient, et y termina une carrière vouée à l’étude. Peu de temps après lui un autre religieux, le révérend père Jean Coppin, s’expliqua sinon plus savamment, du moins plus nettement, sur le grand dessein qui tenait depuis un siècle la France en éveil. Coppin avait été capitaine lieutenant de cavalerie, puis consul des Français à Damiette, avant d’entrer dans les ordres. Au lendemain de la bataille de Saint-Gothard, il avait présenté à Louvois des engins de son invention, qui devaient, disait-il, être fatals aux Turcs, et dont il ne nous épargne pas la description. Touché de la grâce, il s’était retiré au diocèse du Puy. Honoré de la faveur de Mgr de Bélhune, évêque et seigneur du Puy, comte de Velay, suffragant immédiat, de l’église romaine, conseiller du roi en tous ses conseils, — il devint visiteur des ermites de l’institut réformé sous l’invocation de saint Jean-Baptiste. Il eut, en outre, le titre tout honorifique, croyons-nous, de syndic de la terre-sainte. C’est en 1686, à l’âge de soixante-dix ans, que l’idée lui vint d’écrire son Bouclier de l’Europe ou la guerre sainte. Il le dédia au successeur du vénérable Adhémar de Montiel, ce légat du pape qui avait guidé les premiers croisés. Aussi bien, dans sa préface, il donnait d’utiles avis « aux sacrées majestés et altesses » de l’Europe. Il les conjurait de mener à bonne fin « ce que Charles VIII et Henri le Grand avaient voulu commencer. » Comme tous ses précurseurs, avec plus de naïveté peut-être, il réfutait, pour la centième fois, les objections que soulevait la ligue chrétienne, toujours imminente, jamais réalisée. Il réglait les détails de l’expédition d’une façon vraiment minutieuse.