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qui le premier tenta une description scientifique de toutes les tribus de l’Amérique du Sud, avec lesquelles il alla vivre dans une longue intimité; nous pouvons résumer ici en quelques lignes les principes que posèrent ces deux illustres savans.

Sur le sol varié à l’infini dont nous avons esquissé les grands aspects, on peut établir quatre grandes divisions : les peuples des Andes sous la domination des Incas, les Guaranis, les Araucans et le groupe des peuples nomades des pampas ; mais le nombre des tribus énumérées par les chroniqueurs et les voyageurs est illimité. On donnait, au temps de la conquête même, à des tribus vivant dans le même district sous des caciques différens le nom de nation ; ce classement se fondait seulement sur les différences de langage que l’on croyait reconnaître entre les tribus. Il n’est plus possible aujourd’hui de considérer comme nations des tribus dont les origines sont, il est vrai, fort obscures, mais qui du moins se rapprochaient les unes des autres par des analogies de mœurs, de vie et de physionomie que leur imposaient les phases diverses d’une existence identique dans les mêmes régions, et avaient suivant toute probabilité appartenu à une époque donnée à la même souche. Il s’était opéré, sans aucun doute, sur un continent très vaste et à peine peuplé un travail de fractionnement à l’infini, semblable à celui qui, sous nos yeux, se réalise chaque jour même dans notre société compacte. Après deux ou trois générations, les divers descendans d’un auteur commun s’éloignent les uns des autres, le souvenir des liens qui ont uni les membres d’une même famille disparaît; il se crée ainsi des groupes nouveaux sous des noms différens, quelquefois sous le même nom modifié, si un rameau s’est détaché et a changé de milieu, passant du nord au sud, où des noms identiques se transforment par l’accent d’abord, et peu à peu par la traduction. Un fait semblable s’est produit au milieu des vastes territoires indivis du continent sud-américain; des familles devenaient tribus, ou même se constituaient en nations si un intérêt commun l’exigeait, puis des rameaux se détachaient de ces nations en voie de formation et redevenaient tribus emportant le noyau d’une nation nouvelle. Sans l’intervention des Espagnols, cette œuvre de cohésion se fût continuée, achevée, complétée. Les conquérans n’ont fait que détourner à leur profit les forces employées à ce travail; des débris de nations dissoutes se sont formés les divers groupes politiques actuels qui tendent à se constituer en nations nouvelles aussi différentes les unes des autres qu’elles le sont des Indiens et des Espagnols.

Rechercher les similitudes d’origine dans le chaos des nombreuses nations citées par les premiers chroniqueurs serait impossible, autant