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qu’il est difficile, si l’on s’en tient à leurs renseignemens, d’établir même la parenté qui pourrait exister entre les unes et les autres. Les sources d’erreurs sont nombreuses. La première résidait dans la différence de prononciation, si grande entre les peuples d’Amérique et les Espagnols qu’il devait arriver que le même nom prononcé devant plusieurs personnes était écrit ou traduit par chacune d’elles différemment; ces noms, transmis à des copistes ignorans étaient encore modifiés par ceux-ci, et à la fin complètement défigurés. Il n’est pas hors de propos de remarquer que les Espagnols ont une prédisposition particulière à altérer les noms, en supprimant de leur orthographe toutes les voyelles ou consonnes que la prononciation ne souligne pas; c’est ainsi qu’ils procèdent encore quand ils introduisent dans leur langue des mots étrangers : les mots, par exemple, qu’ils empruntent à notre langue sont par eux dénaturés jusqu’à être méconnaissables pour nous-mêmes. Ainsi ils écrivent mondiù, edecan, oboe, pour : mon Dieu, aide-de-camp, haut-bois ! Un travail semblable s’opérant sur les noms des tribus suffirait à rendre impossible un classement. Une autre cause d’erreur provenait de l’ignorance où l’on était de l’origine du nom de la tribu ou de la nation, qui souvent était celui du cacique, d’autres fois lui venait de l’aspect d’un lieu voisin ; le changement du cacique, le déplacement de la tribu, étaient des raisons suffisantes pour que le nom modifié devînt méconnaissable, ou même que la tribu le quittât pour en prendre un autre, comme on fait d’un sobriquet.

D’Orbigny, portant la lumière dans ce chaos, a réduit à trente-neuf nations différentes et groupé en trois races toutes les tribus éparses depuis l’équateur jusqu’au Cap Horn, fondant son classement sur la philologie. Les Guaranis, partagés en tribus nombreuses, occupaient toute la partie est du continent, depuis le 32e degré sud jusqu’aux Antilles, où ils jetèrent un rameau, les Caraïbes, dont le vrai nom était Callinagos, complètement détruits par les Espagnols; les Guaranis enclavèrent un grand nombre de nations qui adoptèrent leur langue. Sur la chaîne des Andes, la monarchie des Incas tenait assujettis tous les peuples montagnards depuis Quito jusqu’au royaume de Chili, où était établi un rameau important de la race Andine, les Araucans. Entre ces deux nations, au sein des plaines, voyageaient les Patagons, les Pampas, les Charmas, les Querandies, les Quilmes, les Mocobies, et au nord les Moxos et les Chiquitos, peuples d’une civilisation moins avancée et d’un caractère plus indomptable, qui, faute de se laisser facilement absorber, semblent être condamnés à une destruction complète. Comme transition entre ces peuples des plaines et ceux des montagnes, sur le versant oriental des Andes, vivaient de petites nations sans affinité directe