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dans toutes les langues d’Amérique des analogies frappantes de structure grammaticale, non-seulement dans les langues perfectionnées comme celle de l’inca, de l’aymará, le guarani, le mexicain et le cora, mais aussi dans les langues les plus grossières. Toutes ont un mécanisme analogue et se composent de particules agrégées plus ou moins complexes, que l’euphonie a dénaturées. Ce mécanisme se rencontre presque partout, et presque partout merveilleusement calculé pour rendre toutes les combinaisons possibles ; mais presque, toutes, dans ce jeu des substantifs avec les verbes, les pronoms, les adjectifs, suppriment ou ajoutent des lettres, et usent de l’élision d’une façon si large qu’une seule lettre arrive à représenter un mot entier. Ce degré de parenté fixé, il est permis d’en tirer cette déduction, qu’à une époque quelconque ces langues étaient plus semblables qu’à l’époque même de la conquête ; néanmoins il n’est guère possible de dire qu’entre les quatre grands rameaux de la famille sud-américaine il y eût une entière analogie et des rapports étroits de parenté.

Les Guaranis, les Araucans, les Pehuenches ont seuls été avec les Quichuas l’objet d’études approfondies. Quelle est celle des nations dont parlait déjà Montaigne, qui s’était attaché un matelot revenu d’Amérique, trouvé dans une de ses flâneries sur le quai des Bacalans ? Ce matelot ignorant avait passé dix ans au Brésil à une époque nécessairement très rapprochée de la découverte et lui rapportait ses récits qu’il tient pour véridiques, étant donnée la simplicité naïve du conteur, « car les fines gens regardent plus curieusement les choses, mais ils les glosent. » Pas si simple cependant devait être ce conteur, si c’est bien lui qui a fourni à Montaigne les échantillons curieux de l’éloquence et de la poésie des prétendus sauvages d’Amérique. Montaigne cite entre autres un discours d’un prisonnier condamné à être mangé par ses vainqueurs et qui n’est pas un des morceaux les moins curieux que nous possédions de cette littérature, qui, suivant toute vraisemblance, doit appartenir à une tribu caraïbe : « Qu’ils viennent hardiment trestouts, et s’assemblent pour dîner de luy, car ils mangeront quant et quant leurs pères et leurs ayeulx qui ont servi d’aliment et de nourriture à son corps : ces muscles, dit-il, cette chair et ces veines, ce sont les vostres, pauvres fols que vous estes ; vous ne recognoissez pas que la substance des membres de vos ancêtres s’y tient encores ; savourez les bien, vous y trouverez le goust de vostre propre chair. » Invention qui ne sent aucunement la barbarie, dit Montaigne ; aussi n’hésite-t-il pas à déclarer ailleurs que « cette découverte d’un païs infiny semble estre sa considération. »

Cet exemple de poésie éloquente, appartenant à une race anthropophage, peut laisser supposer que l’on trouvera ailleurs, dans