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des différens cabildos de toutes les villes de l’Amérique espagnole. Nous avons sous les yeux l’acte de fondation de la ville de Buenos-Ayres par Juan de Garay, daté du 28 mars 1582, contenant le détail de la distribution des Indiens qui fut faite entre les fondateurs. Le terrain que l’on occupait alors était fort limité, et cependant cette distribution comprend 66 caciques avec leurs tribus, appartenant à vingt-trois nations, pour prendre le terme employé dans ce document; le nombre des individus de chaque tribu n’est pas indiqué, mais il devait être considérable. Néanmoins les résultats de cet esclavage furent tels et la destruction des Indiens si rapide, qu’en 1611, au même lieu, la population européenne n’étant que de quatre-vingts familles et de 240 individus, sans agriculture ni industrie, les Indiens n’étaient déjà plus assez nombreux pour les servir, et les colons demandaient au roi l’autorisation d’introduire des nègres de Guinée pour suppléer les Indiens disparus.

Un grand nombre de tribus restèrent insoumises, elles s’éloignèrent dans la pampa; d’autres se formèrent des débris des tribus vaincues qui échappaient par la fuite à l’écrasement; quelques-unes peu à peu sollicitèrent des traités pour profiter, au prix d’une demi-servitude, de l’amélioration de bien-être matériel introduite par les Européens. Les invasions furent longtemps inconnues, aucun des deux partis n’avait intérêt à entreprendre une guerre. Le nombre des troupeaux répandus dans la campagne était tel, et leur exploitation était si négligée, que les Indiens pampas purent puiser dans cette mine féconde sans avoir à s’avancer dans le pays peuplé et sans que personne songeât à leur contester le droit de le faire. A l’ombre de cette tolérance, ils avaient créé un commerce considérable avec les tribus indiennes du Chili, qui, elles, trafiquaient de ce butin avec les Européens établis sur la côte du Pacifique. Cette jouissance paisible et ce commerce rapidement développé avaient créé des besoins; d’un autre côté, la destruction des troupeaux fut si rapide dans les pampas pendant tout le XVIIIe siècle, que peu à peu les Indiens eurent chaque jour plus de difficulté à se procurer les animaux nécessaires à leur consommation et à leur commerce. Ce fut cette seule raison qui motiva des incursions dans le pays peuplé et amena des conflits. Les Espagnols les imputèrent à tort à la complicité des tribus soumises et procédèrent à un massacre général de ces tribus que vint venger la première grande invasion armée de 1748. Jamais, sans cette volonté arrêtée d’épouvanter les envahisseurs par un grand exemple de cruauté, qui a toujours été le système employé par les Espagnols, les invasions n’eussent pris le caractère odieux qu’elles ont gardé depuis. Les Espagnols avaient appris aux Indiens l’enlèvement des femmes et