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Il est inadmissible qu’une modification grave aux traditions parlementaires de la France ait pu être introduite silencieusement et par un sous-entendu. On serait fondé à dire en tout cas que les députés les plus attentifs et les plus vigilans ne s’étaient pas doutés de la portée de cette décision, car, deux jours après, M. Raudot, développant un amendement qui avait pour objet d’assigner aux deux chambres le même nombre de membres, faisait valoir à deux reprises, comme argument, l’égalité de leurs attributions.


« Quelle est l’économie de votre loi? disait-il, c’est de faire que le sénat ait autant de pouvoir que la chambre des députés. Le sénat fait les lois comme la chambre des députés ; il est une partie intégrante du congrès qui révise la constitution et nomme le président.

« Le sénat sortira de l’élection comme les députés. Il aura les mêmes droits que la chambre des députés ; il faut donc que les deux assemblées soient en nombre égal. »


Veut-on attribuer une signification particulière à l’insertion du mot votées dans l’article 8? Voici quelle elle peut être : supposons que la dissolution de la chambre des députés soit prononcée après la présentation, mais avant le vote du budget; un gouvernement disposé à user d’équivoque aurait pu prétendre qu’en présentant le budget à la chambre il avait satisfait aux prescriptions de la constitution, et demander au sénat, au nom de l’intérêt public, soit de voter la loi de finances, soit d’autoriser la perception de douzièmes provisoires ; il se serait ainsi trouvé maître de différer à son gré la convocation du corps électoral. La constitution spécifiant que les lois de finances doivent être votées en premier lieu par la chambre des députés, il est évident que le sénat ne peut en être saisi qu’après que l’autre chambre a statué, et aucune tentative n’est possible pour échapper, même temporairement, à l’intervention nécessaire de la chambre des députés. Ainsi entendue, et peut-être sans que ses auteurs y aient songé, la rédaction de l’article 8 serait l’équivalent de la précaution que les chartes de 1814 et de 1830 avaient prises, la première par son-article 26, la seconde par son article 22, et que la constitution belge s’est appropriée par son article 59, en déclarant illicite et nulle de plein droit toute réunion d’une des deux chambres en l’absence de l’autre. Il n’était fait exception que pour le cas où la chambre haute siégeait comme cour de justice.

L’interprétation qu’on a voulu donner à l’article 8 de la loi organique du sénat ne se justifie donc ni par le texte de la loi, ni par aucun des documens qui peuvent éclairer sur les intentions du législateur. Elle est contraire à la tradition parlementaire, dont se sont manifestement inspirés les auteurs de la constitution du 25 février,