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aîné, selon les usages locaux. Quelquefois c’est la veuve qui prend la direction de la maison, d’autres fois, comme dans le mir, l’ancien est choisi par les membres de la famille, et au lieu de l’aîné c’est le plus capable, le plus sage. Le père ou chef de famille a pleine autorité pour l’administration des biens de la communauté. Il en est de droit le représentant dans toutes les affaires privées ou publiques; c’est en se réunissant avec ses pareils qu’il forme l’assemblée de la commune, car là encore c’était moins l’individu qui siégeait que la famille dans son représentant.

Comme tous les membres mâles de la commune ont un égal titre à la terre communale, tous les membres mâles de la famille ont un droit égal aux biens de la maison. Au temps du servage, la famille rurale aimait à rester agglomérée. Les partages étaient redoutés, ils n’avaient lieu que lorsque la famille, devenue trop nombreuse, ne pouvait plus habiter ensemble. Cette nécessité était regardée comme un mal, et la division du petit capital patrimonial appelée le partage noir. L’intérêt du seigneur, obligé de fournir le bois et les matériaux pour la construction de la nouvelle izba, était d’accord avec la tradition pour s’opposer au morcellement des familles. Grâce à ces mœurs, le sol racheté par les anciens serfs eût été, lors de l’émancipation, définitivement attribué aux différentes familles, — celles-ci continuant à exploiter leur lot en commun, aux grandes communautés de villages eussent pu succéder de petites communautés de famille assez semblables à la zadrouga serbe. Aujourd’hui qu’avec la liberté l’individualisme et l’esprit d’indépendance ont envahi la demeure du moujik, si la tenure collective du sol vient à être abrogée, ce sera au profit de la liberté individuelle, et le paysan russe ne passera probablement point par l’étape intermédiaire où se sont arrêtés d’autres peuples slaves.

Dans la famille où la propriété reste indivise, la fortune étant commune, survit aux individus. Ce ne sont pas les décès qui donnent lieu aux successions, c’est la séparation des vivans qui donne lieu à un partage. D’ordinaire ce partage se fait par tête d’homme. Les membres de la famille qui sortent de la maison pour s’établir en dehors, reçoivent une part de la fortune commune proportionnelle à leur nombre. On n’a point d’habitude égard au degré de parenté; il n’y a pas seulement égalité entre les fils, il y a égalité entre tous les parens. Tous sont considérés comme ayant des droits égaux, le neveu autant que le fils, le cousin autant que le frère, parfois même l’étranger vivant dans la maison, autant que le parent. Le mode de division des biens est conforme au mode de jouissance. Ce n’est pas tant le lien du sang que la coopération qui donne un titre à une part de l’avoir commun. De tels partages font directement dériver la propriété du travail et l’hérédité de l’association.