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songer à l’avenir, n’existent plus pour nous. Réduire le nombre de nos arsenaux, on n’y a pas songé, avons-nous dit. Peut-être aussi a-t-on sincèrement, consciencieusement pensé que le plus grand service à rendre à la marine, au moment critique qu’elle traversait, était d’éviter toute complication, de ne jeter aucun trouble dans son organisation et de conserver intact le creuset qui jusqu’alors avait servi à en amalgamer les élémens. Les mauvais jours passés, on reprendrait la coulée. Grande erreur! Le temps perdu ne se retrouve jamais.

Résolus donc à n’opérer aucune réduction sur le personnel de 33,000 non combattans que paie le budget de la marine, décidés à continuer de solder les frais généraux neuf fois répétés des neuf établissemens entre lesquels se fractionne le travail créateur, sur quoi pouvait-on faire porter les réductions promises? Sur ce qui ne se plaint pas. Sur les approvisionnemens, ces malheureux approvisionnemens déjà réduits de 60 millions pendant la guerre. Les attaques de la presse étaient évitées, les intérêts électoraux n’étaient pas compromis, mais, bien involontairement, on frappait notre puissance navale d’un arrêt de suspension. Nous aurions perdu la moitié de nos vaisseaux pendant la guerre que, sauf l’honneur, le désastre eût été moins grand : nous eussions perdu de vieux navires déjà et de beaucoup dépassés par les progrès de la science navale, mais nous les eussions remplacés par des vaisseaux réunissant toutes les qualités et les améliorations les plus récentes; nous aurions fait des bâtimens à compartimens, en acier, des canons d’acier, et créé une flottille de bateaux porte-torpilles, tirailleurs des combats futurs. Au lieu de cela, nous gardions une flotte de navires inférieurs, déjà à demi usés, mais nous interdisions pour des années le moyen de les remplacer.

Faute d’approvisionnemens, de bois, de fer, de charbon, de matières de toute sorte, on ne pouvait construire, quel que fût le nombre prodigieux des administrateurs et des ouvriers, qu’un nombre très restreint de navires, de canons, nombre tout à fait insuffisant pour pourvoir à l’entretien et au renouvellement de la flotte. Du jour où une diminution considérable du budget avait été consentie, une diminution correspondante de la force navale était décidée. Mais en réduisant proportionnellement les frais et les approvisionnemens, nous l’atténuions autant que possible; tandis qu’en faisant porter aux approvisionnemens seuls tout le poids de cette réduction, nous en exagérions de plein gré les conséquences et nous condamnions, au moins pour quelque temps, notre matériel à l’appauvrissement progressif si visible aujourd’hui.

Le mal s’est encore trouvé aggravé par d’autres causes. Nous vivons à une époque révolutionnaire en fait de matériel naval. Pendant