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billets au porteur. Cela se comprend. Ces denrées ne sont jamais emmagasinées en grande quantité, on ne les produit pas longtemps d’avance, et on les consomme en général au jour le jour; par conséquent, elles sont soumises à toutes les influences qui agissent sur le marché. Qu’il y ait une sécheresse de quelques mois, aussitôt le blé, les légumes, la viande, les fruits, augmentent de prix; ils baissent au contraire s’il survient une pluie qui peut les rendre plus abondans. Il n’est pas étonnant que dans ces conditions l’introduction d’un signe monétaire qui peut être déprécié tout à coup de 15 ou 20 pour 100, — et c’est la perte qui atteignit dès les premiers jours le papier-monnaie d’Italie en 1866. — produise un grand effet. Les matières premières, sans être aussi susceptibles que les denrées alimentaires, ne tardent pas également à subir l’influence de la dépréciation. On ne les garde pas non plus indéfiniment en magasin, on est obligé de les renouveler souvent, et si on réfléchit que quelques-unes de ces matières premières consistent en bois, en charbon, etc., c’est-à-dire en choses dont on a besoin chaque jour, on peut se rendre compte des difficultés qu’apporte immédiatement dans la vie de chacun la dépréciation du papier-monnaie. Si encore le revenu, le traitement ou le salaire augmentaient en proportion, comme cela arrive lorsque la hausse des prix est l’effet progressif du développement de la richesse, il y aurait une compensation; il n’en est rien : le rentier reçoit toujours la même rente, quelle que soit la monnaie avec laquelle on le paie. Quant à l’employé, qu’il soit au service de l’état ou d’une administration particulière, il n’y a pas de raison pour que son traitement augmente : ni l’état, ni les administrations particulières ne gagnent au cours forcé, ils y perdent plutôt, et quand à la longue, par la force des choses, cette augmentation a lieu, il est rare qu’elle soit en rapport exact avec la dépréciation du signe monétaire; elle reste généralement au-dessous. La situation du salarié, de celui qui loue son travail au jour le jour, est peut-être un peu meilleure : il n’est lié par aucun engagement, il peut suivre davantage les oscillations du marché et exiger un supplément de salaire pour faire face à la hausse des prix; on est bien obligé de le lui accorder, — autrement l’ouvrier, ne pouvant plus vivre de son salaire, s’expatrierait, et le travail s’arrêterait. Mais là encore l’augmentation des salaires n’est jamais au premier moment proportionnelle à la dépréciation de la monnaie, et quand elle arrive à l’être après plusieurs années, elle perd toujours la plus-value naturelle qu’aurait amenée le progrès de la richesse. Qu’on compare en effet, dans les pays où il n’y a pas de cours forcé, en Angleterre par exemple, les prix du travail en 1866 et en 1873, et on constatera certainement qu’ils ont augmenté d’au moins 10 pour 100. Ces 10 pour 100, le travailleur italien, autrichien