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l’acheteur toutes les incertitudes qui résultent du cours forcé, en exigeant d’être payé en monnaie de son propre pays.

Par conséquent, qu’il s’agisse du commerce d’exportation ou de celui d’importation, le négociant de la contrée où l’instrument d’échange a perdu sa pleine valeur ne tarde pas lui-même à souffrir aussi de cette situation ; il est exposé à payer une prime supplémentaire, non-seulement pour la dépréciation qui existe au moment de ses engagemens, mais pour celle qui pourra survenir plus tard. Il est vrai qu’il peut gagner, si le change s’améliore ; mais qu’est-ce qu’un commerce qui repose sur un pareil aléa? Il est livré complètement à la spéculation. C’est ce qui explique du reste comment il se développe malgré tout dans les pays qui ont le cours forcé, comment en Italie, par exemple, le mouvement des affaires extérieures a monté de 1 milliard 1/2 en 1866 à 2 milliards 1/2 en 1874, et en Autriche, aux mêmes dates, de 697 millions de florins à 1,312. Cela tient aux efforts tentés par cette spéculation. En effet, aussitôt l’introduction du cours forcé dans un pays, la première chose qui a lieu, c’est la multiplication des maisons de banque et des associations financières; elles sont attirées par les facilités de crédit qui en résultent et par l’agio qui existe sur le papier[1]. Elles réunissent tous les capitaux disponibles, et comme elles ont besoin de les faire valoir tout de suite et aux conditions les plus avantageuses, elles fomentent toute espèce d’entreprises, souvent les plus chimériques, et il se produit alors une activité extraordinaire qui fait croire un moment que le papier-monnaie est la véritable panacée pour conduire très vite à la richesse. C’est le plus grand inconvénient de ce papier, car après avoir égaré tout le monde, il conduit, non pas à la richesse, mais à des catastrophes inévitables, et d’autant plus graves que l’illusion a duré davantage.

Enfin on pourrait croire au moins que l’état gagne à l’émission du papier-monnaie. Il se procure ainsi des ressources extraordinaires qu’il n’aurait peut-être pas trouvées autrement, et il n’a pas d’intérêts à payer; c’est un emprunt forcé qu’il lève sur son pays et dont il sera tenu seulement de rembourser le capital, il semble que tout soit bénéfice; il n’en est rien : ce remboursement lui-même pourra lui devenir très difficile, et, en attendant, l’état est obligé de payer tout plus cher pour ses propres dépenses, par suite de la dépréciation, sans que pour cela ses revenus augmentent, car il ne peut songer, dans une situation où il n’y a pas de plus-value de la richesse, tant s’en faut, à demander plus d’impôts; il perd donc à peu près l’équivalent des économies qu’il a pu faire en ne payant pas d’intérêts. On calcule qu’il en a coûté ainsi en moyenne 37 millions

  1. En Italie, le nombre des banques de dépôt, qui était de 15 en 1865, avec un capital de 129 millions, s’est élevé à 218 en 1874, avec un capital de 677 millions.