Page:Revue des Deux Mondes - 1876 - tome 18.djvu/344

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

États-Unis. On n’a pas augmenté positivement le chiffre des green-backs, dont la limite était fixée à 354 millions de dollars ; on a pris seulement une disposition qui en a rendu la circulation plus active. Les banques, dites nationales, étaient autorisées à émettre du papier non remboursable, à la condition de déposer entre les mains du trésor public une quantité déterminée de greenbacks. On a diminué le chiffre du dépôt obligatoire. De cette façon, 100 millions de dollars de greenbacks se sont trouvés libres, on les a retirés du trésor et répandus dans la circulation. Il en est résulté un certain soulagement, le prix du capital a baissé, les affaires ont été plus faciles ; mais ce n’était qu’un palliatif : quelques mois après, les choses étaient revenues au même état, les mêmes embarras subsistaient, et la crise née en 1873 dure toujours. Si les Américains avaient eu conscience du mal dont ils souffraient, au lieu de chercher un remède inefficace dans une extension du papier-monnaie, ils auraient accepté tout simplement la situation qui se présentait et élevé le taux de l’escompte, de façon à faire venir chez eux les capitaux étrangers. Ces capitaux les auraient aidés à faire leur liquidation, et on serait probablement aujourd’hui, au-delà de l’Atlantique, beaucoup plus près qu’on ne l’est de la reprise des paiemens.

Nous ne voulons pas dire assurément que la crise de 1873 en Amérique, qui a eu un caractère très violent, comme tout ce qui se passe dans ce pays, soit due exclusivement au papier-monnaie; d’autres causes y ont contribué : d’abord l’énormité de la dette contractée pendant la guerre de sécession. Avant cette guerre, il n’y avait, pour ainsi dire, pas de dette fédérale : elle était tout au plus de 450 millions de francs; après, elle s’éleva tout à coup à 15 milliards. Il fallut, pour faire face aux intérêts, établir des impôts considérables et de toute nature. M. David A. Wells, un économiste américain fort éclairé, nous apprend que la contribution par tête, qui était de moins de 5 dollars en 1861, monte à plus de 13 dollars en 1876, et que, tant en contributions fédérales qu’en impôts d’état et de municipalités, les Américains ont payé, de 1865 à 1876, environ 6 milliards de dollars, soit plus de 30 milliards de francs. On comprend qu’un pareil fardeau ait pesé sur les affaires. Il y a eu en outre cette coïncidence fâcheuse pour les États-Unis que l’Europe, ayant été favorisée par de bonnes récoltes en céréales depuis plusieurs années, fut dispensée de recourir aux greniers du Far-West, et n’eut pas à envoyer au-delà de l’Atlantique les 200 ou 300 millions de numéraire qui prennent ordinairement cette route dans les temps de mauvaise récolte. Enfin les Américains ont encore souffert des mauvaises mesures économiques qui ont été prises, telles qu’une protection industrielle à outrance, et l’établissement de droits de douane très élevés sur les matières premières.