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Ces causes ont assurément rendu la situation très difficile aux États-Unis; elles n’auraient pourtant pas amené la crise violente de 1873 sans le papier-monnaie. C’est ce papier qui a fait qu’on a dépensé en travaux publics et particulièrement en chemins de fer, de 1866 à 1873, environ 7 milliards, soit 1 milliard par an, sans compter d’autres emplois de capitaux. Il est bien évident qu’avec les charges qui accablaient alors le pays, il ne pouvait y avoir une pareille somme disponible, et si on avait dû la demander à l’emprunt ordinaire, on ne l’aurait obtenue qu’à des conditions onéreuses qui auraient averti du péril. Avec le papier-monnaie, on s’est fait illusion sur les ressources réelles qui existaient, et on est allé de l’avant. Qu’en est-il résulté? Que la situation générale a été de plus en plus tendue et embarrassée, et, en ce qui concerne les chemins de fer, beaucoup sont aujourd’hui en pleine déconfiture et exploités pour le compte des créanciers. Supposons qu’il eût été possible aux États-Unis, après la guerre de sécession, de revenir aux paiement en espèces ; on n’aurait certainement pas dépensé les sommes folles qui ont aggravé le mal et qui le font se prolonger indéfiniment. Du reste, s’il y a aux États-Unis des hommes qui sont partisans du cours forcé et même de l’augmentation des greenbacks, il y en a d’autres au contraire qui sentent énergiquement tout le préjudice que le papier cause, et qui voudraient qu’on s’en débarrassât. Un ancien ministre des finances de ce pays, M. Bristow, disait dernièrement : « Il est temps qu’on s’occupe des effets désastreux de la monnaie purement fiduciaire. Les capitaux étrangers ne viendront jamais chez nous, tant qu’il y aura un étalon de valeur aussi flottant que le papier-monnaie. Pourquoi Londres est-il devenu la métropole commerciale de l’univers? Parce qu’il a la fixité de valeur avec sa livre sterling. » On pourrait peut-être trouver d’autres raisons pour expliquer la prépondérance commerciale de l’Angleterre; Celle-là toutefois en est une, et la livre sterling a été si appréciée qu’elle a été prise pour monnaie de compte dans beaucoup de pays commerçans. L’Angleterre, nous l’avons dit, a eu aussi sa monnaie purement fiduciaire pendant longtemps, de 1797 à 1819, et ce n’est pas sans difficulté qu’elle a pu l’abandonner; mais elle a conservé un tel souvenir des embarras qui en ont été à la longue la conséquence, elle a tant à se féliciter d’être revenue à une situation régulière, que, pour n’en plus sortir jamais, elle a entouré de précautions excessives l’émission des billets au porteur; elle veut que ces billets puissent être toujours considérés comme l’équivalent exact de la monnaie métallique, et c’est pour cela qu’elle a fait l’acte de 1844.

Le malheur des pays qui ont le cours forcé est non-seulement d’être exposés à des crises plus violentes que celles qui ont lieu ailleurs, mais encore de ne plus pouvoir les conjurer lorsqu’elles