Page:Revue des Deux Mondes - 1876 - tome 18.djvu/383

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

y ait des parcelles de génie chez cet homme ; mais que de maux il a causés ! Le moindre, c’est la ruine de ces nombreuses familles auxquelles il a donné la misère, après leur avoir promis la fortune. L’éclat de ses succès a corrompu en Allemagne les plus grands comme les plus humbles. Le « docteur merveilleux, » — c’est ainsi qu’on l’appelait, — avait ses mercenaires et savait le prix exact de plus d’une conscience allemande. Il éprouvait du dégoût à voir comme il était adulé, à lire les études psychologiques qu’on publiait sur lui, à entendre des écrivains se demander gravement si « le roi des chemins de fer » Strousberg n’avait point rendu plus de services à la patrie allemande que le « comte de fer, » qui est M. de Bismarck. Une cour de ducs se pressait autour de ce monarque parvenu, qui leur témoignait une grande bienveillance. Comme on s’enrichissait à le suivre, son cortège s’allongeait sans cesse. Or c’est après la guerre seulement que cette grandeur s’écroula ; en 1870, elle était encore intacte, elle faisait rêver bien des honnêtes gens et bien des aventuriers.

La déclaration de guerre eut cependant pour premier effet de comprimer l’ardeur des financiers. La bourse berlinoise n’eut qu’une très médiocre confiance dans les destinées de la patrie allemande. Elle qui devait bientôt couvrir d’or tant de papiers sans valeur, elle laissa tomber les consolidés prussiens, une valeur qui ne pouvait périr qu’avec l’état lui-même, de 105 à 80. En même temps le commerce, grand et petit, refusait à l’envi les billets de la banque de Prusse, et il se faisait un énorme agio sur l’argent et sur l’or. Le parlement de la confédération avait, à l’unanimité, voté un emprunt de 125 millions de thaler, qui fut émis au taux modeste de 88 ; 3 millions à peine furent souscrits à la bourse de Berlin. Par une coïncidence étrange, la souscription eut lieu le jour même de la bataille de Wissembourg. Le lendemain, quand la nouvelle de la victoire fut connue, les financiers eurent d’amers regrets ; ils voulaient se disputer les restes de l’emprunt ; mais le ministre des finances les leur refusa pour les donner à un cours beaucoup plus élevé à une maison de banque ; celle-ci fit encore une très belle affaire, car l’emprunt s’éleva bientôt au-dessus du pair. Cependant les victoires succédaient aux victoires, et la paix dépassait bientôt toutes les espérances qu’on avait conçues. L’unité germanique était consolidée. On avait un empire et un empereur. Maître chez soi, on était passé maître du monde, et on était résolu à le devenir en toutes choses. Dans la longue période pacifique qui semblait s’ouvrir, on entendait conquérir la première place sur les marchés, ou, tout au moins, prendre celle que la France avait laissée vacante. On comptait sur la « foi ce de travail » qui réside dans le peuple allemand, sur les