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coup parachever le réseau en le doublant. Rien ne les arrêta, ni l’énorme accroissement de salaire exigé par les ouvriers appelés en masse sur les chantiers, ni l’élévation du prix du fer, des matériaux de construction, des machines, du sol. Les devis étaient dépassés de 50 pour 100, on n’y prenait garde. Le marché d’argent, encombré par les milliards, absorbait sans difficulté toutes les émissions nouvelles. La surcharge de capital écrasa l’exploitation. L’appel d’argent lait par les chemins de fer est en 1872 de 244 millions, en 1873 de 471 millions de marcs. Cependant l’accroissement de revenus n’était pas en proportion avec l’accroissement de la dépense ; des lignes nouvelles faisaient aux lignes anciennes une concurrence fatale aux unes et aux autres, et le revenu est tombé si bas qu’aujourd’hui des lignes d’intérêt général ne peuvent être entreprises faute d’argent, l’épargne s’étant détournée de ces valeurs improductives. Pour citer un exemple frappant, les actions du chemin de Berlin à Potsdam étaient en 1870 un des meilleurs placemens qu’on pût faire : elles donnaient alors un dividende de 20 pour 100, qui est tombé à 14 pour 100 en 1871, à 8 pour 100 en 1872, à 4 pour 100 en 1873, à 1,75 pour 100 en 1874. Des entreprises frauduleuses qui ont été faites dans le domaine des chemins de fer, nous ne parlerons pas. C’est autour de celles-là qu’on a fait le plus de bruit, et elles ont été sévèrement jugées en plein parlement d’Allemagne. Rien d’ailleurs ne ressemble à un spéculateur malhonnête comme un autre spéculateur de même trempe, et le dégoût prend vite en pareille compagnie.

Les sociétés de chemins de fer sont toujours soumises, malgré la loi du 11 juin 1870, au régime de l’autorisation préalable. Cette loi n’est donc pas responsable des désordres commis par ces sociétés. On ne saurait trop répéter d’ailleurs qu’elle n’a point été, pas plus que nos milliards, la cause déterminante de la crise. Elle y a seulement aidé. Ce qui a fait le mal si grand, c’est qu’une foule de circonstances se sont réunies pour l’aggraver. L’agitation socialiste par exemple a été aussi nuisible que la loi sur les sociétés par actions.

Les lecteurs de la Revue connaissent les forces et les doctrines des partis socialistes en Allemagne[1] ; ils savent que ces utopistes impitoyables dédaignent tous les efforts faits par la législation et par la bonne volonté privée pour donner aux travailleurs le moyen de s’élever peu à peu dans les rangs d’une société qui n’est pas fermée. Ce n’est pas d’une réforme qu’ils rêvent, mais d’une révolution totale. Servie par une organisation très forte, par ses

  1. Voyez la Revue du 15 septembre 1873.