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À cette question délicate, les uns répondent avec bienveillance, les autres avec rigueur ; les plus rapprochés du trône évitent d’en rien dire, espérant que les choses s’arrangeront toutes seules. C’est une grande maxime en politique, maxime trop oubliée chez nous, qu’il faut écarter en bien des cas les déclarations de principes abstraits, les discussions théoriques à outrance ; la pratique toute simple résout insensiblement des problèmes réputés insolubles, comme l’instinct dans l’ordre philosophique voit souvent plus loin que la raison, comme l’activité inconsciente va souvent plus droit que l’activité réfléchie.

Les Anglais, qui apprécient tant la discussion parlementaire, ont aussi le grand art de ne pas en abuser ; ils s’en remettent volontiers à l’usage des choses comme à une main invisible pour dénouer sans bruit les nœuds gordiens. C’est ce que fit lord Melbourne dès les premiers mois de l’année 1840. Il ne demanda pas à la reine si le prince Albert devait assister au conseil des ministres, il se contenta de ne pas l’y inviter, sauf en quelques occasions très spéciales. La question, à titre de question, n’était ni posée ni écartée, elle était vaguement réservée à l’avenir, si les circonstances voulaient qu’elle reparût. La reine tint à peu près la même conduite. Sans poser de questions au conseil, elle attendit que lord Melbourne l’engageât lui-même à communiquer au prince toutes les dépêches étrangères. C’est du moins ce que dit le livre de la reine ; il est probable pourtant qu’elle n’attendit pas si discrètement l’autorisation du ministre : avec un homme de cour aussi aimable que lord Melbourne, il y avait mille occasions de lui suggérer des idées qui paraissaient venir de son initiative. Au mois d’août 1840, le prince écrit à son père : « Victoria me permet de prendre une grande part aux affaires étrangères, et je crois y avoir produit déjà quelque bien. Je mets toujours mes vues par écrit, puis je les communique à lord Melbourne. Il est rare qu’il me réponde, mais j’ai eu déjà la satisfaction de le voir agir d’une façon entièrement conforme à ce que je lui ai dit. » Et huit mois après, au mois d’avril 1841, traitant encore le même sujet, il écrivait ces mots : « Tout ce que je peux dire de ma position politique, c’est que j’étudie les hommes d’état du jour avec un grand soin et que je m’attache résolument à me tenir libre de tous les partis. Je prends un intérêt actif à toutes les institutions et associations nationales. Je parle avec les ministres en toute liberté sur tous les sujets, de manière à obtenir des informations complètes, et je rencontre de tous côtés une parfaite obligeance… Je m’efforce sans bruit d’être aussi utile que je puis à Victoria en tout ce qui concerne ses devoirs de reine. »

C’était précisément ce que voulait la reine et ce qu’elle avait ménagé