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eût livré sa dernière bataille, pénétrer à travers les Marches jusqu’à la frontière napolitaine pour empêcher Garibaldi de refluer vers le nord ou d’aller se jeter follement sur Rome, c’était assurément un acte extraordinaire. Cavour lui-même n’en doutait pas; pour le coup, il ne croyait pas faire des choses régulières, et il ne saluait le droit international que pour lui demander avec son air dégagé la permission de passer outre. Il ne se sentait absous que par la nécessité nationale qui le pressait et par l’évidente imminence du péril. Encore avait-il besoin de colorer ses entreprises, et c’est ici qu’éclatait le danger de ces bruyantes manifestations d’hostilité, de ces armemens auxquels la cour de Rome se livrait depuis le commencement de 1860. On n’avait pas vu qu’en créant une armée on créait aussi la tentation de s’en servir, surtout avec un chef brûlant d’aller à l’ennemi. On oubliait que la force de la papauté était encore dans sa faiblesse matérielle, comme on l’a dit si souvent, et que tout ce qu’on faisait était trop peu pour une sérieuse action militaire ou trop pour le vrai rôle du saint-siège. Pie IX, dans son pieux et profond instinct le sentait, il n’avait qu’une médiocre foi en ces armemens qu’il regardait quelquefois avec une finesse moqueuse, en demandant si l’on croyait reconquérir ainsi les provinces perdues. Le cardinal Antonelli, plus touché de raisons humaines, le sentait moins. M. de Mérode, le belliqueux prélat, le pro-ministre des armes, ne le sentait pas du tout. Les défenseurs compromettans de la papauté temporelle s’étaient plu à faire de Rome un camp de catholicisme militant, le rendez-vous de cette armée cosmopolite qui excitait l’irritation des Italiens et dont le chef du cabinet piémontais avait six mois auparavant signalé le danger. C’était justement le prétexte qu’il saisissait maintenant, en envoyant dès le 7 septembre au cardinal Antonelli la sommation de « désarmer ces corps dont l’existence est une menace continuelle pour la tranquillité de l’Italie[1]. » Il trouvait encore un autre prétexte dans quelques députations

  1. Les événemens humains se reproduisent quelquefois à des demi-siècles de distance avec d’étranges analogies. Cavour ne se doutait peut-être pas que par ses procédés sommaires il imitait un peu ce que Napoléon faisait en 1808, le jour où il voulait faire entrer brusquement à Rome, le général Miollis. Napoléon écrivait à son ministre des affaires étrangères, M. de Champagny : « Vous devez faire connaître au sieur Alquier (ministre auprès du pape) que le général Miollis, qui commande mes troupes et qui a l’air de se diriger sur Naples, s’arrêtera à Rome, que le général prendra le titre de commandant de la division d’observation de l’Adriatique... » M. Alquier, aussitôt qu’il apprendrait l’arrivée des troupes aux portes de Rome, devait présenter au cardinal secrétaire d’état une note ou ultimatum, ou « sommation, » portant ceci en particulier : «... Que le rassemblement de sujets napolitains qui a lieu à Rome soit dissous... » Napoléon poursuivait : « Immédiatement après que cette note aura été remise, le sieur Alquier aura soin de veiller à ce que tout soit préparé pour recevoir l’armée... L’empereur n’ambitionne pas une extension de territoire pour ses états d’Italie;… mais il veut que le pape se trouve dans son système... » — Il reste toujours bien entendu cette différence que Napoléon entrait à Rome pour en faire bientôt un département français, et que Cavour n’entrait dans l’Ombrie et les Marches, pays italiens, que pour en faire des provinces de l’Italie.