Page:Revue des Deux Mondes - 1876 - tome 18.djvu/428

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

par un chef digne d’une meilleure fortune ; mais que pouvait le malheureux Lamoricière dans la situation fausse où il se trouvait? Il n’avait plus même d’illusions, il avait vu de près les incurables désordres de l’administration romaine. Il savait qu’il n’avait pas une armée à mettre en face d’une armée sérieuse. Si un instant il avait cru ce qu’on lui disait d’une intervention de la France, il avait été promptement détrompé. Engagé d’honneur, il pouvait dire encore avec sa vivacité et son entrain de soldat : « Si nous sommes seuls, Dieu combattra pour nous; nous en appellerons à notre droit et à flamberge, notre bonne épée ! » Il ne pouvait qu’illustrer d’un dernier reflet une défense que le choc de Castelfidardo brisait, qui allait expirer dans la place d’Ancône pressée par l’armée de Cialdini et par la flotte de Persano, bientôt réduite par le feu à capituler. Cela fait, la question des Marches était tranchée. L’armée piémontaise, gagnant la frontière napolitaine, restait maîtresse de la situation, et, chose étrange ! l’infortuné François II, qui ne pouvait plus rien pour lui-même, venait, sans le vouloir et sans le savoir, de rendre un singulier service à Cavour : il avait arrêté Garibaldi sur le Vulturne, — et c’était fort heureux, car le terrible homme, plus entêté que jamais, aurait bien pu, s’il n’eût été arrêté, pousser sur Rome avant l’arrivée des Piémontais. Maintenant il ne le pouvait plus. Cavour voyait la fortune sourire à son audace de toute façon, par la promptitude de la conquête des Marches et par la résistance des « royaux » napolitains.

Le coup avait été habilement monté, c’est bien certain. La partie militaire était gagnée; la partie politique l’était bien plus encore, j’ose le dire, et si, dans une affaire comme l’invasion des Marches, il y avait de ces violences ou de ces subterfuges devant lesquels ne recule pas quelquefois un homme hardi aux prises avec les difficultés d’une situation hasardeuse, l’action politique, parlementaire, révélait ce qu’il y avait de supériorité, de libérale confiance dans cette nature si puissante et si fine. Au milieu de ces troubles, de ces conflits en apparence inextricables, Cavour recevait de toutes parts des excitations à prendre la dictature, à demander tout au moins des pleins pouvoirs au parlement. Il restait absolument sourd à ces suggestions, et comme un jour, au plus fort de ses embarras, Mme de Circourt lui avait, communiqué une lettre d’un personnage considérable qui lui proposait un expédient de ce genre, il répondait : « Je suis très flatté de l’opinion que votre illustre ami manifeste à mon égard, mais je ne puis la partager. Il se méfie trop de la liberté et il compte beaucoup trop sur l’influence que je possède. Pour ma part, je n’ai nulle confiance dans les dictatures et surtout dans les dictatures civiles. Je crois qu’on peut faire avec