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une mesure aussi inopportune ne lui était venue à la pensée. Liverpool, armé de cette réponse, retourna chez Peel. Peel fut amical, mais très réservé ; il n’avait encore parlé de l’affaire qu’avec Wellington ; il ne pouvait donc exprimer encore qu’une opinion privée, une opinion qui ne devait être considérée en aucune façon comme celle de son parti. Le prince Albert était le tuteur naturel de son enfant. Une seule chose était en question : y aurait-il ou n’y aurait-il pas un conseil de régence ? D’une manière générale, il ne voyait pas bien l’utilité pratique d’un conseil de régence, surtout il ne voyait pas de quelle utilité ce pouvait être d’y faire entrer le duc de Sussex. Des conseils de ce genre ne produisent d’ordinaire que discordes et intrigues. Tout ce qu’il avait entendu dire du prince Albert, tout ce qu’il en avait remarqué lui-même, parlait en sa faveur. Enfin il était d’avis que les ministres devaient présenter le bill de régence aux chambres dans le plus bref délai possible.

« Melbourne désira me parler. Je lui racontai ce que j’avais appris de Peel par l’entremise de Liverpool. Il me dit qu’il partageait le sentiment de Peel, mais que c’était là une mesure pleine de difficultés. Le bill touchait à des intérêts graves pour une période de dix-huit ans. Il était de la plus haute importance que la mesure à prendre réunît tous les suffrages ; or il doutait beaucoup de cette unanimité. — Je vis qu’il avait dû parler de l’affaire avec quelques-uns de ses collègues ; ce doute, qu’il n’avait pas exprimé jusque-là, lui venait d’eux bien évidemment.

« J’en pris occasion pour lui montrer qu’il y avait danger à reculer d’une façon indéfinie la présentation du bill, et que, s’il y avait des motifs pour ajourner l’affaire, il y en avait bien plus encore pour la traiter sans retard. Il fut de cet avis et me promit de ne rien faire sans avoir parlé d’abord avec Wellington. »


D’où venait donc cette froideur subite de lord Melbourne ? pourquoi l’insouciant seigneur apercevait-il tout à coup des inconvéniens et des périls dans ce qui d’abord lui paraissait si simple ? Fallait-il croire vraiment qu’un de ses collègues du ministère lui eût inspiré ces scrupules ou communiqué ces défaillances ? Stockmar sut bientôt à quoi s’en tenir sur ce point. La suite de ses notes nous montre l’étrange conduite d’un très haut personnage, le duc de Sussex, l’un des oncles de la reine Victoria. Rien de plus curieux que ces révélations :


« 28 juin 1840.

« Peel est venu aujourd’hui spontanément trouver Liverpool, et lui a dit très amicalement, très loyalement, pour qu’il le répétât au prince, qu’il y avait sous jeu une intrigue des radicaux tendant à faire nommer le duc de Sussex co-régent. Il conseillait au prince de garder une attitude