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des funérailles décentes. Le clergé acheta toute sa bibliothèque à vil prix et la fit détruire. On ne découvrit dans sa commode aucun papier qui pût aider à percer le mystère qui l’entourait. Seulement dans un coin on trouva soigneusement enveloppé un bouquet de fleurs desséchées, liées par un ruban tricolore. On crut d’abord à quelque souvenir d’amour, et plusieurs brodèrent sur ce canevas le roman de l’inconnu ; mais le ruban tricolore troublait cette hypothèse. Ma mère ne croyait nullement que ce fût là l’explication véritable. Quoiqu’elle eût un respect instinctif pour Système, elle me disait toujours : « C’est un vieux terroriste. Je me figuré par momens l’avoir vu en 1793. Et puis il ajuste les allures et les idées de M…, qui terrorisa Lannion et y tint la guillotine en permanence tant que dura Robespierre. »

Il y a quinze ou vingt ans, je lus aux faits divers d’un journal à peu près ce qui suit :


« Hier, dans une rue écartée, au fond du faubourg Saint-Jacques, s’est éteint presque sans agonie un vieillard dont l’existence intriguait fort le voisinage. Il était respecté dans le quartier comme un modèle de bienfaisance et de bonté ; mais il évitait tout ce qui eût pu mettre sur la voie de son passé. Quelques livres, le Catéchisme de Volney, des volumes dépareillés de Rousseau étaient épars sur sa table. Une malle composait tout son avoir. Le commissaire de police appelé à l’ouvrir n’y a trouvé que quelques pauvres effets, parmi lesquels un bouquet fané, enveloppé avec soin dans un papier sur lequel était écrit : Bouquet que je portai à la fête de l’Être suprême, 20 prairial, an II. »


Ce fut là pour moi un trait de lumière. Je ne doutai pas que le bouquet de Système ne rappelât le même souvenir. Je me rappelai les rares adeptes de l’église jacobine que j’avais pu connaître, leur ardente conviction, leur attachement sans bornes aux souvenirs de 1793 et 1794, leur impuissance à parler d’autre chose. Ce rêve d’une année fut si ardent que ceux qui l’avaient traversé ne purent désormais rentrer dans la vie ; Ils restèrent sous le coup d’une idée fixe, mornes, frappés de stupéfaction ; ils avaient le delirium tremens des ivresses sanglantes. C’étaient des croyans absolus ; le monde, qui n’était plus à leur diapason, leur semblait vide et enfantin. Restés seuls comme les restes d’un monde de géans, chargés de la haine du genre humain, ils n’avaient plus de commerce possible avec les vivans. Je compris l’effet que fit Lakanal quand il revint d’Amérique en 1833 et qu’il apparut à ses confrères de l’Académie des Sciences morales et politiques comme un fantôme… Je compris Daunou et son obstination à voir dans M. Cousin, M. Guizot, les plus dangereux des jésuites. Par un contraste assez ordinaire, ces survivans parfois hideux de luttes titaniques étaient