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de l’Orient ne saurait, je crois, mettre ce fait en doute. Les vices de l’administration, le défaut d’instruction et de moralité, le manque d’hommes et de personnel, n’en sont pas la seule raison ; la première est dans la variété, la diversité des races et des religions, dans l’étendue et la conformation géographique de l’empire. Les populations réunies par les armées musulmanes sous le sceptre du sultan seraient-elles plus avancées, les fonctionnaires seraient-ils moins ignorans et plus intègres, que la centralisation administrative serait encore dans l’empire ottoman un contre-sens. La Turquie ressemble sous ce rapport à sa voisine l’Autriche-Hongrie. Comme l’empire des Habsbourg et plus encore, l’empire ottoman n’est qu’une mosaïque de peuples juxtaposés et souvent enchevêtrés les uns dans les autres, une confuse marqueterie d’élémens hétérogènes qui se disjoint de tous côtés et manque sans cesse de se rompre. Pour surcroît de difficultés, aux diversités nationales s’ajoutent les diversités religieuses qui, ne correspondant pas toujours aux premières, aggravent encore la complication. Comment la centralisation, si difficile à l’Autriche, serait-elle possible à la Turquie, dépourvue de l’instrument moderne de tout régime centraliste, dépourvue de bureaucratie ? Il est à remarquer du reste que dans l’empire ottoman la centralisation est de date relativement récente. C’est avec un système tout différent que l’empire turc s’est fondé, a grandi et vécu. La centralisation n’y est guère qu’une imitation des grands états bureaucratiques de l’Occident, et ce fâcheux emprunt n’a pas été étranger à l’énervement et à la décadence de l’empire. En voulant rapprocher et fondre ensemble des élémens disparates, on n’a réussi qu’à fortifier, au lieu de l’affaiblir, leur répulsion réciproque et leurs tendances à l’isolement. Si la Turquie peut se régénérer, si elle doit réconcilier au sceptre du sultan les diverses nationalités de l’empire, ce ne peut être qu’au moyen d’institutions locales, d’institutions provinciales en harmonie avec les besoins, les traditions et l’individualité de chaque province. S’il doit y avoir un jour dans l’empire ottoman renouvelé une représentation centrale commune à toutes les portions du territoire, ce ne pourra être que le couronnement d’institutions provinciales déjà anciennes et respectées. Agir autrement avec le cadre actuel de l’empire, c’est prétendre élever une maison sans tenir compte de la disposition du terrain ou de la nature des matériaux, au risque de la voir s’écrouler sur la tête de ceux qu’elle devrait abriter.

Tout ce qui, en fait de réformes, a depuis un siècle été tenté sur la base de la centralisation, est demeuré une œuvre stérile ou une lettre morte ; ainsi les réformes solennellement annoncées à la suite de la guerre de Crimée, et tous les hatts, firmans et iradés libéraux