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pourquoi on ne les trouve pas dans les pièces officielles ; c’étaient des argumens de conversation propres à échauffer les cerveaux, et peut-être ignorerait-on encore ce singulier détail, si le baron de Stockmar, mêlé à ces entretiens, n’en avait consigné le fond dans ses notes avec une parfaite ingénuité.

Il y a pourtant quelque trace de cette ridicule accusation dans la dépêche que lord Palmerston adressa le 2 novembre 1840 au représentant de l’Angleterre à Paris, M. Bulwer[1]. Cette dépêche un peu tardive et qui se trompait d’adresse (car elle prétendait répondre à la note du 8 octobre) ne fut rédigée qu’après la chute de M. Thiers. Ce fut M. Guizot qui la reçut comme ministre des affaires étrangères et chef du nouveau cabinet. On peut lire dans ses Mémoires combien il fut blessé de ce langage. C’était un des trois griefs qu’il avait contre lord Palmerston et au sujet desquels il écrivait à M. de Bourqueney (20 juillet 1841) : « Tout cela ne m’empêcherait pas de conclure avec lord Palmerston les affaires en suspens si l’intérêt de notre pays le demandait ; mais cela me dispense de tout empressement, de tout acte de bienveillance surérogatoire, cela me commande même quelque froideur. Je ne veux rien faire pour être désagréable, rien pour être agréable. Je n’aurai point de mauvais procédé ; je ne veux, je ne dois avoir point de procédé gracieux.[2] » Les explications même de lord Palmerston, quoique très courtoises et très courtoisement transmises à M. Guizot par M. Bulwer, ne le satisfirent pas pour le fond, comme on le voit par cette réponse au chargé d’affaires anglais : « Je vous remercie d’avoir bien voulu me communiquer la lettre de lord Palmerston. J’avais pressenti ses raisons sans les trouver bonnes, et j’avoue qu’après avoir relu deux fois sa lettre, je ne les trouve pas meilleures.[3] » Ces raisons en effet n’étaient qu’un prétexte bien vain ; on le vit assez clairement l’année suivante lorsque la situation du pacha d’Egypte fut confirmée et agrandie sans que l’Angleterre élevât de protestations.

Il paraît que des intelligences loyales en Angleterre commençaient à éprouver des doutes sur les procédés diplomatiques de lord Palmerston, puisque le baron de Stockmar écrit dans son journal (août 1841) ces paroles équivoques, toujours au sujet du traité du 15 juillet 1840 et des négociations qui en furent la suite :


« Quand même la France aurait raison, il valait la peine de lui montrer qu’on ne peut pas accepter sa dictature et qu’on n’a pas peur de

  1. M. Bulwer, à cette date, remplaçait lord Granville à Paris avec le titre de chargé d’affaires.
  2. Guizot, Mémoires, t. V, p. 134.
  3. Ibid.