Page:Revue des Deux Mondes - 1876 - tome 18.djvu/565

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

le compte du ministre français. Quelle gravité ! quelle noblesse chez l’illustre homme d’état ! Comme les griefs les plus sérieux sont présentés dignement ! M. Guizot sait que le sentiment du respect, par cela même qu’il est nécessaire à tous, est un sentiment royal. La contradiction la plus décidée ne le dispense jamais de la scrupuleuse observation des convenances.

Ces violences calculées de l’auguste visiteur ont-elles produit sur les ministres de la reine l’impression qu’il se promettait ? Non, certes ; ni les gros mots, ni les insinuations captieuses, ni les accusations véhémentes ne purent ébranler la confiance de lord Aberdeen dans la sagesse et la loyauté du roi Louis-Philippe. M. Guizot avait eu raison d’écrire au comte, de Flahaut : « On ne fera pas d’autre politique à Londres que celle que nous connaissons. » Le tsar en fut pour ses frais d’habileté. Il perdit aussi sa peine lorsqu’il eut recours aux flatteries les plus étranges pour charmer les hôtes de Windsor ou séduire la foule tumultueuse. C’était tour à tour des élans chevaleresques en l’honneur de la reine ou des affectations de familiarité populaire. On peut remarquer ici un contraste piquant entre les notes de Stockmar et les pages correspondantes des Mémoires de M. Guizot. Quand Stockmar résume les impressions générales produites par la visite du tsar en Angleterre, ses paroles laissent constamment percer une pointe d’ironie. Bien qu’il partage les antipathies de Nicolas contre la France, on sent que ses prétentions, ses jeux de théâtre, sa perpétuelle comédie, lui déplaisent. Ce mot même de comédie, c’est lui qui le met sans cesse dans la bouche du tsar, pour que le tsar, bien entendu, proteste contre le soupçon ; mais plus il proteste, plus, le soupçon grandit. M. Guizot, au contraire, évitant tous ces mots de comédie et de comédien, voit les choses sous leur aspect le plus noble et n’en parle qu’avec dignité. Il ne le peint pas comme un histrion impérial, gesticulant, criant, pérorant des fenêtres en orateur de balcon, il signale en lui « un souverain courtisan, venu pour déployer sa bonne grâce avec sa grandeur, soigneux de plaire à la reine Victoria, à ses ministres, à ses dames, à l’aristocratie, au peuple, à tout le monde en Angleterre. » Il ajoute même qu’il garda toujours dans ses empressemens beaucoup de dignité personnelle ; la seule réserve, c’est que, malgré tant de bonne grâce, il manque parfois de tact et de mesure. C’est ainsi que M. Guizot, si mal traité par le tsar Nicolas pendant sa visite à Windsor, atténue courtoisement tout ce qui pouvait, dans le récit même de cette visite, faire quelque tort à la majesté impériale.

Les circonstances où le tsar manqua de tact et de mesure sont d’ailleurs assez curieuses. Un jour, comme il assistait avec la reine à une revue militaire, après l’avoir félicitée sur la bonne tenue de