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Cependant, je crois qu’à tout prendre la visite d’un hôpital d’adultes laisse dans le souvenir une impression plus pénible que celle d’un hôpital d’enfans. En effet, le spectacle qui émeut le plus douloureusement la compassion, ce n’est peut-être pas celui de la souffrance physique, de toutes les épreuves humaines la plus facile à supporter parce qu’elle n’exige qu’un effort tout personnel de courage et de résignation ; c’est celui de la souffrance morale. On s’arrête quelques instans auprès du malade qui gémit bruyamment dans son lit, et l’on passe ; mais on voit longtemps devant ses yeux la figure de celui qui, silencieux, les traits contractés, le regard absent, semble se demander avec angoisse à quelle porte sa femme et ses enfans iront frapper pour avoir du pain. La visite d’un hôpital d’enfans ne vous laisse point de semblables souvenirs. Lorsque la douleur ne les étreint pas d’une façon trop vive (et il est rare que les maladies de l’enfance soient douloureuses), on ne lit sur leur visage qu’un mélange d’insouciance et d’ennui. Un rien suffit à les distraire. Les convalescens jouent, dans un coin de la salle. Les moins malades causent de lit à lit. Ceux qui sont plus gravement atteints demeurent plongés dans cette sorte de stupeur inconsciente qui accompagne souvent la maladie chez l’enfance. Pourtant j’ai cru parfois surprendre, sur la figure de ceux que la mort serrait déjà de près, un certain regard d’anxiété et d’angoisse comme s’ils se sentaient vaguement en présence d’un grand inconnu. Lorsqu’on s’approche de leur lit, leurs yeux se tournent lentement vers vous et semblent vous demander si vous n’avez pas quelque chose à leur dire, à eux qui dans quelques heures peut-être en sauront plus que nous. Mais le plus souvent l’insouciance de leur âge les préserve de ces anxiétés et leur fait oublier la tristesse de leur position. Voyant un jour de loin un enfant de quatre ou cinq ans qui s’amusait avec les courroies d’un objet suspendu à son chevet et dont je ne distinguais pas bien la forme, je m’approchai de son lit ; cet objet était une jambe artificielle qu’on avait apportée le matin même au pauvre petit amputé au dessus du genou. Il prenait cet appareil pour un jouet, et comme je le regardais avec compassion, il me montra sa jambe avec un naïf orgueil.

L’aspect extérieur des deux hôpitaux des Enfans-Malades et de Sainte-Eugénie n’a rien non plus qui augmente la tristesse inévitable d’un pareil lieu. L’hôpital de la rue de Sèvres présente même un aspect assez riant, avec sa longue avenue de tilleuls bordée de gazon et de fleurs. À gauche s’élèvent deux pavillons isolés, séparés par de larges préaux ; au fond les bâtimens principaux de l’hôpital ; à droite, la chapelle, la communauté et un spacieux gymnase en plein air, recevant encore la lumière et le soleil des préaux de l’hôpital Necker, dont l’hôpital des Enfans-Malades n’est séparé que