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seulement pour le vulgaire des fidèles, confréries pieuses, œuvre des petits Chinois, nouveaux miracles ; sur tout cela M. Droz a fait pleuvoir une grêle de traits menus comme des aiguilles, comparables à ceux dont les Lilliputiens attaquèrent Gulliver. Ce n’est pas assez pour entraîner mort d’homme, mais c’est parfois assez pour crever un œil. La confession surtout a le privilège d’exciter très particulièrement sa verve railleuse ; la seule critique que je veuille faire des innombrables saynètes dont cette grande pratique religieuse est l’objet dans les livres de M. Droz est de dire qu’il serait vraiment incomparable dans cette veine, s’il n’avait un concurrent inéluctable dans la personne d’un artiste parisien connu de toute l’Europe pour son talent de mystification, le célèbre corniste Vivier, dont l’imitation des chuchotemens du confessionnal compose précisément une des charges les plus amusantes. Cet acharnement de malice va parfois si loin et revient si souvent, que c’est à se demander si l’auteur a eu par hasard à se plaindre de quelque abbé de sa connaissance. S’il en était ainsi, pour lui déconseiller la rancune, nous lui citerions une jolie anecdote d’il y a deux siècles. Lord Herbert de Cherbury, premier des déistes anglais, s’était rendu fameux dans le monde par une humeur susceptible qui lui avait fait chercher partout un duel qu’il ne put jamais rencontrer, tant était grande la considération dont il était entouré. Or, pendant qu’il était ambassadeur d’Angleterre à la cour de Louis XIII, il fut très vivement attaqué par un confesseur de Marie de Médicis, dont le nom échappe en cet instant à ma mémoire. Riposte de lord Herbert, réplique du confesseur ; la querelle devint des plus chaudes ; mais, comme elle ne pouvait nécessairement avoir aucune issue, lord Herbert la termina par ce mot : « Sachez qu’il n’y a au monde qu’un moine ou une femme qui puisse me parler de telle façon avec impunité. »

Il est rare cependant qu’il n’y ait pas des compensations en toutes choses, et cette irrévérence d’un goût souvent douteux pour les gens et les choses d’église nous a valu un vrai petit chef-d’œuvre, la correspondance de l’abbé Leroux avec le comte candidat à la Réputation, dans cette très fine et très exacte esquisse de nos mœurs électorales d’il y a dix ans, que M. Droz a intitulée un Paquet de lettres[1]. Quelle adresse dans la progression des exigences de l’abbé pour feindre de se faire arracher un consentement qu’il grille d’accorder, quel art subtil de mettre le désintéressement au service de la cupidité, quel talent de négociation pour faire hausser le prix de la bicoque paternelle que le comte veut acquérir, quel tact dans ces manœuvres pour se ménager les faveurs de la fortune sans quitter un instant le service de Dieu ! Une énergie indomptable sans

  1. Voyez la Revue du 15 novembre 1868.