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remplie de préoccupations chagrines qui passeront comme des ombres sur la pure lumière de l’amour. M. Droz peut répondre à nos observations que l’histoire est vraie, et que les choses se sont passées ainsi qu’il le dit, non-seulement pour son héroïne, mais pour une infinité d’autres Mme Laumel. Cela est bien possible, et je le crois volontiers, mais il y a dans le monde une quantité de choses vraies que l’on peut sans paradoxe aucun qualifier de fausses, parce qu’elles ne sont susceptibles d’aucune explication, ou dérivent de causes fortuites Qu’obscurément charnelles qui en font de simples phénomènes sans valeur, sans intérêt et sans portée, et la chute de Mme Laumel est de ce nombre. C’est au tact de l’observateur à discerner entre ces deux ordres de faits vrais et à ne choisir que ceux qui répondent aux exigences de la logique et aux convenances de l’art qu’il exerce.

Le verre de Gustave Droz est petit, mais c’est dans son verre qu’il boit. Son style est bien à lui, un bon style, très passablement ferme, coloré et cependant sobre, teinté seulement çà et là d’épithètes qui trahissent la pratique et le langage d’un autre art. Ces expressions souvent heureuses, mais toujours cherchées, par lesquelles les peintres s’efforcent d’atteindre et de fixer ce qu’il y a de plus fuyant et de plus insaisissable dans les nuances des couleurs, les caresses de la lumière ou les mollesses de l’ombre, se rencontrent fréquemment dans le style de M. Droz et en gênent parfois la simplicité. Ses procédés de composition aussi sont bien à lui, et ne trahissent aucune étude trop attentive, aucune imitation trop marquée. Cependant il m’a semblé reconnaître des traces de réminiscence dans la méthode ingénieuse par laquelle il arrive à retrouver et à reconstituer cette anecdote charmante et tragique de la fin de l’ancien régime qu’il a intitulée les Étangs. N’y a-t-il pas quelque souvenir des procédés d’induction de l’Américain Edgar Poë dans ces deux récits mêlés l’un à l’autre, dont le plus accessoire engendre le plus important ? La description du portrait de la belle au bouquet bleu, qui sert de point de départ aux investigations du romancier, m’en a rappelé une autre du même genre, qui sert également d’introduction à une histoire de cette même fin de l’ancien régime, Mlle de Malepeyre, le chef-d’œuvre de Mme Charles Reybaud, que nos lecteurs n’ont certainement pas oublié. Il se peut que cette rencontre soit accidentelle, mais, Gustave Droz dût-il sa description au souvenir du roman de Mme Reybaud, l’originalité de son œuvre n’en serait nullement atteinte. Le souvenir est permis lorsque les matériaux empruntés à la mémoire sont ainsi transformés.

Les dissemblances qui existent entre nos nouveaux romanciers ne sont pas faites pour rendre les transitions faciles ; c’est donc un contraste qui nous servira de pont entre Gustave Droz et André