Page:Revue des Deux Mondes - 1876 - tome 18.djvu/64

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de lui laisser un rôle égal à son rang et digne de son amour, elle ne se résignait point à le voir, tant qu’elle vivrait, mis en dehors des œuvres de la souveraineté. La naissance de sa fille lui fut une occasion de se faire suppléer par lui, très discrètement, très délicatement, et toutefois de manière à ce qu’il se trouvât initié aux grandes affaires. La chute du ministère whig leur fournit à tous deux une circonstance plus favorable encore. Il y avait là des ouvertures à faire, des offres à proposer ; le travail caché convenait au prince, qui s’en acquitta d’une façon irréprochable. La glace était rompue sans éclats ; la pratique, sans y prétendre, corrigeait tout doucement la théorie.

Fallait-il aller plus loin ? La reine, dans la vivacité de son affection, aurait voulu que le prince portât le même titre qu’elle. Ce nom de prince-consort lui déplaisait. Pourquoi donc ne pas l’appeler le roi ? N’était-il pas le roi, puisqu’il était le mari de la reine ? S’il n’avait pas la royauté effective, celle que donne l’hérédité, celle qui seule assure les droits et privilèges reconnus par la constitution, était-ce une raison pour le priver de ce titre qui répondait manifestement à la réalité des choses ? Il y a plusieurs manières d’être roi ; il y a des rois absolus, des rois constitutionnels, des rois maris d’une reine, il y a les rois selon l’hérédité et les rois selon le mariage. Leurs pouvoirs sont différens, leur titre est le même. Comment donc refuser le titre de roi à l’époux de la reine d’Angleterre ? C’est ainsi que la reine, avec une vivacité toute féminine et une noblesse toute royale, se munissait d’argumens pour la bataille. Stockmar n’était pas de cet avis ; il disait qu’un titre, sans le pouvoir que ce titre représente, était une chose vaine, un décor mensonger, et que ce simulacre, au lieu de rehausser le prince, l’abaisserait. Ce qu’il souhaitait pour le prince et pour la reine, c’était une loi établissant de la façon la plus précise les droits et les devoirs du prince-consort dans le domaine de l’état, son rôle de conseiller privé, la part qu’il pouvait prendre à la direction des affaires. Il est digne de remarque, en effet, que rien de tout cela n’est réglé. La constitution britannique, ou du moins l’ensemble des lois fondamentales qui portent es nom, prévoit bien l’existence d’un prince-consort, elle ne s’occupe en aucune manière de sa situation politique. C’est cette lacune que Stockmar jugeait utile de combler.

Ce n’étaient pas là de simples conversations entre les augustes époux et leur vieil ami Stockmar, les argumens de la reine comme la doctrine de Stockmar furent soumis à sir Robert Peel. Sir Robert n’approuva ni l’un ni l’autre de ces systèmes. Le projet de Stockmar lui parut aussi scabreux que celui de la reine, au point de vue des difficultés parlementaires. Toucher à la tradition uniquement par caprice ! modifier une loi politique pour une simple question de