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L’abus des conserves de légumes rend les repas allemands particulièrement désagréables en hiver ; les bons fruits sont inconnus, sauf les fruits importés qu’offre le marché de Hambourg. On prendrait encore son parti de la cuisine allemande, s’il ne s’agissait que de la déguster ; mais pour comble de malheur c’est un continuel sujet d’entretien. Revenez-vous du bal ? La première question qu’on vous pose est celle-ci : — Na ! was hat’s gegeben ? Que vous a-t-on donné à manger ? — Les dames ne cessent d’échanger des recettes et de composer des menus. — Espérons, dit la femme de goût dont nous citons les observations, espérons que si jamais, dans le reste de l’Europe, les cuisinières arrivent à nous permettre de nous occuper des casseroles, nous serons assez bien inspirées pour ne pas porter au salon le récit de nos exploits culinaires ! — Et elle termine son essai « de la nourriture » par une citation de Samuel Johnson : « Tout homme incapable de commander judicieusement son dîner peut être soupçonné d’incompétence sur les autres points. » Que de lacunes en ce cas dans l’esprit allemand !

Le mot du vieux docteur pourrait, avec une légère modification, s’appliquer aux femmes en matière de toilette. Ne sommes-nous pas autorisés à croire, en effet, qu’une femme qui s’habille mal manque généralement de goût, de tact, d’invention, de jugement, d’à-propos ? La toilette implique autre chose que le vêtement, elle est la révélation d’une individualité. En France, cette science de l’ajustement est innée, elle n’exige pas d’études ; en Allemagne, on la creuse, on la discute chaque jour sans arriver jamais à la posséder : le mot seul geputzt, qui signifie à la fois paré et fourbi, évoque des associations désagréables. L’Allemande n’est prête, fix und fertig, comme elle dit, qu’à une heure avancée de la matinée. Si vous la rencontrez à son lever en robe de chambre, en bonnet et en pantoufles de feutre, vous risquerez fort de la prendre pour la femme de charge. Elle alléguera que les soins du ménage exigent cet appareil, mais en réalité elle ne fait que s’abandonner à un instinct qu’où ne peut trop blâmer. Dans les villes d’eaux, où il n’est pas question de ménage, les dames qui se rendent au bain sont tout aussi mal tenues. C’est en vain que l’hypocrisie voudrait donner à je ne sais quelle négligence inavouable le nom d’une vertu domestique. Peu importe d’être laide à une heure qui n’est point celle de la promenade et des visites. Le mari, les enfans savent bien qu’avant l’arrivée de la coiffeuse on ne peut avoir bonne mine. Plus l’Allemande est âgée, moins elle prend soin d’elle-même. D’autres s’efforcent de dissimuler les ravages du temps, de porter avec grâce leur drapeau de vieille femme : elle est au-dessus de ces faiblesses, qui ne sont que des égards délicats pour le goût d’autrui et une dernière pudeur obligatoire comme toutes les autres. « Peu importe