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du mariage, et d’abord du caractère, de la situation réciproque de l’homme et de la femme en Allemagne. L’esprit généreux de l’Anglaise indépendante et honorée se révolte en présence de la destinée inférieure, du rôle d’esclave attribué à sa sœur de Germanie. Elle la prend depuis le berceau : la voici toute petite, assise derrière le poêle, s’empoisonnant d’acides et de sucreries, se préparant par un mauvais régime à devenir bleichsüchtig, une créature qui n’a ni sang, ni nerfs, ni muscles. Elle ne sort guère que pour aller chaque matin à l’école ; la parcimonie qui règle tout empêche qu’on la mette définitivement en pension. Ceux qui ont habité une ville d’Allemagne quelconque se rappellent ces jolis défilés d’enfans chaque matin dans les rues : les écoles sont parfaites, et, sous le rapport de l’instruction, un pareil système ne laisse rien à désirer ; c’est l’éducation qui est déplorable. Le goût naturel de la petite Allemande pour les travaux à l’aiguille favorise encore les habitudes sédentaires qu’on lui laisse prendre ; elle boit du café au lait avec ses amies en babillant à l’exemple des femmes. Une pruderie qui par la suite a des résultats fâcheux l’empêche très-jeune de prendre part aux jeux de ses frères ; dès l’enfance commence la séparation des sexes, mais on se rencontre sur le chemin de l’école, et bientôt je ne sais quels manèges de coquetterie sentimentale prennent la place de cette intimité franche, de cette camaraderie qui serait naturelle. La cérémonie de la confirmation fait d’elle une femme ; dès lors elle aspire à ressembler au modèle tracé par Schiller, à cette figure féminine éthérée « qui enguirlande la terre des roses du ciel. » Elle se voit douce, sensible, toute sympathie, tout adjectifs, couronnée de myosotis, voguant sur la vaste mer du sentiment qui n’est pas sans écueils, la céleste amie d’un amoureux semi-platonique ; elle craint presque de s’évaporer dans le bleu ; en réalité, c’est la prose même, — elle beurre des tartines. La femme allemande n’a fait que cela depuis que la Charlotte de Goethe est venue clore et renouveler la scandaleuse série des belles incomprises de Weimar. Il faut avouer que celles-ci, en faisant connaître le type de la femme dite émancipée, ont dû contribuer à l’abaissement actuel de leurs descendantes.

L’ère glorieuse de la résurrection de la philosophie et des lettres vit fleurir une pléiade de bas-bleus qui, en revendiquant leurs droits, commencèrent par en abuser. Ces dames portèrent des robes à la grecque, s’adonnèrent au sentiment et à la mélancolie, prétendirent se conformer aux lois de la nature, et défièrent les conventions sociales, si bien que Schiller déclare qu’il n’y a guère de femmes à Weimar qui n’aient une liaison. Deux anges mariés se disputaient l’âme platonique de Richter ; Mme de Stein terminait par l’envoi de saucisses et de petits gâteaux ses querelles d’amour