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monts-de-piété : cet appareil formidable est destiné à les mettre à l’abri des voleurs ; sur la plate-forme est constamment un veilleur, et des pierres, des bonbonnes d’huile bouillante, de résine, d’acide sulfurique, placées à sa portée, pourraient accueillir les audacieux qui tenteraient une escalade. Il n’en faut pas moins, paraît-il, pour donner la sécurité aux prêteurs ; il est vrai que ces établissemens contiennent des trésors, car nulle partie prêt à usure n’est plus répandu, ni la puissance du crédit mieux mise à profit. Que signifient ces trous carrés percés dans le sol à certains endroits où la rue se rétrécit et où un arceau enjambe d’une maison à l’autre ? Se sont autant de portes qui à la nuit se ferment et séparent complètement chaque quartier, de fortes solives sont encastrées, dans ces trous et dans les mortaises correspondantes de l’arceau, où elles sont retenues au moyen d’un encliquetage ingénieux qui permet de les rendre fixes ou mobiles en manœuvrant une clef. Chaque porte a son gardien, qui refuse absolument passage à un indigène étranger au quartier, mais qui ouvre à l’Européen une ou deux solives, suivant la corpulence du postulant, ou toutes les quatre quand il se présente en chaise. Quoique fort gênante, cette précaution est encore insuffisante contre les malfaiteurs qui infestent Canton et y rendent la promenade de nuit extrêmement dangereuse pour quiconque ne peut montrer aux chevaliers du ruisseau, comme une tête de méduse, cette face blanche, qui est dans tout l’extrême Orient un porte-respect plus sûr que tous les revolvers. La certitude du châtiment, en cas d’attaque sur un étranger est la meilleure des sauvegardes. Mais la sécurité des résidens à Canton ne tient qu’à la protection du gouvernement, et ce gouvernement n’est pas toujours maître d’une population de 700,000 âmes, qui contient la lie de tout ce que la Chine a de désespérés. Le jour où la faible barrière de l’habitude qui retient toute cette populace féroce tomberait, ou romprait sous l’effort, on se demande ce qui adviendrait d’une poignée de malheureux perdus dans cette foule, ou plutôt le souvenir lamentable de Tient-sin ne répond que trop vite à la question ; mais on n’y veut pas penser, on dort sur ce volcan avec cette insouciance dont les natures même les plus timides se font une habitude.

Tandis que je me livre à ces réflexions, la chaise m’emporte à toute vitesse d’un monument à l’autre. Voici d’abord le temple des cinq cents Dieux, qui ressemble moins à un temple qu’à un musée et me rappelle celui qui porte le même nom à Yeddo, Go-hiaku-Rakkan. Ce sont des statues de grandeur naturelle en bois sculpté et doré. des sages, des apôtres, des génies secondaires du bouddhisme ; ils viennent d’êtres restaurés, l’exécution en est très remarquable. S’il y a peu de sentiment esthétique, on est surpris de la perfection de certains détails, dans les traits, dans les mains