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allures, les mêmes dehors réguliers et monotones. Les bateaux de fleurs, où les riches marchands et les fonctionnaires du plus haut rang allaient dépenser en folles orgies toute leur fortune et celle de leurs créanciers, ont été supprimés par la police. On n’en voit plus aujourd’hui que la carcasse abandonnée, dépouillée de ses tapis, de ses tentures, de ses guirlandes de fleurs et surtout de ses danseuses lascives, qui faisaient tourner la tête aux plus graves mandarins, et dont le souvenir colore les relations de quelques jeunes globe-trotters d’un reflet d’enthousiasme. Toutefois l’habitude de faire de la rivière le témoin des fêtes joyeuses n’est pas encore perdue ; notre sampang rase une jonque pavoisée où l’on entend un orchestre et des cris qui veulent être des chants ; c’est une noce. Tout à l’heure j’ai croisé le cortège dans les rues ; il était précédé d’enfans portant au bout de longues perches des étendards rouges et des banderoles annonçant en caractères d’or le rang et la fortune des époux ; puis venaient des chaises dont l’une, fermée aux regards, contenait sans doute la mariée, tandis que dans l’autre se pavanait le marié en habits de fête, ensuite les parens ; après avoir parcouru la ville on est venu dîner sur l’eau, et le repas s’achève au milieu d’une animation bruyante. Voilà la première fois que je vois un Chinois s’amuser publiquement ; encore est-il en goguette plutôt que gai.

Je termine enfin la visite des monumens religieux par celle de la pagode des horreurs, où sont exposées des représentations en bois sculpté et peint des divers supplices infernaux empruntés au code pénal chinois, tels que l’écartellement, la scie, l’écrasement dans un mortier, la roue, l’enfouissement, la noyade dans un puits, etc., et de la pagode aux cinq étages bâtie sur le point culminant d’un monticule qui a été notre centre d’opérations lors de la prise de Canton en 1857. C’est là que nos soldats purent enfin prendre quelque repos après l’assaut et s’étendirent sans façon sur le plancher du temple, qui n’a plus été depuis lors qu’un sanctuaire profané et délaissé. Du plus haut étage, on découvre à ses pieds la ville, les faubourgs, le cours de la rivière au milieu de la plaine et les collines environnantes dont la plus élevée, distante de 4 ou 5 lieues, désignée en anglais par le nom de White-Cloud, à cause du nuage qui la couronne presque constamment, mesure 1,200 pieds et sert de lieu de promenade et de pique-nique aux résidens européens. L’architecture de ces différens monumens ne varie pas sensiblement ; elle est trop présente à tous les yeux pour qu’il soit besoin de la décrire ; l’ornementation en est plus ou moins soignée, suivant la ferveur du culte dont le sanctuaire est entouré ; l’ensemble est lourd, disgracieux, massif sans être grandiose, et donne une idée peu avantageuse du génie esthétique de la race. Toutefois il faut se hâter d’observer que, si c’est ici la première cité commerçante,