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incomparable. On sait lui montrer qu’il n’est pas de culture intellectuelle sans lectures françaises en lui citant à propos Victor Hugo et Musset, dont les vers sonores ne perdent rien à passer par les lèvres d’une dame portugaise. C’est une charmante habitude que celle des toasts qui terminent le repas et donnent à la maîtresse de la maison l’occasion d’adresser une parole bienveillante à chacun de ses convives. Le premier est pour la France renaissante et guérie de ses blessures ; c’est avec émotion qu’il est porté et rendu. La soirée s’achève chez le gouverneur, où l’on prend le thé en famille.

Le lendemain le White-Cloud, armé selon l’usage de son râtelier de carabines et de sabres, m’emporte loin de ces aimables hôtes et me ramène à Hong-kong. L’impression que laisse Macao est celle d’une puissante énergie luttant contre la fatalité pour reprendre une place longtemps occupée avec gloire dans le monde colonial ; on souhaite en le quittant que le gouvernement de Lisbonne réussisse dans ses efforts. Les Portugais en agissent avec le Chinois d’autre façon que l’Anglais ; ils ne procèdent pas violemment, au nom de la force, ils préfèrent user de persuasion. Sans juger en principe le mérite de chaque système et en tenant compte des différences entre une colonisation de deux siècles et un contact de trente ans à peine, il faut reconnaître que les résultats obtenus à Macao sont préférables, et que l’élément indigène y semble plus soumis et moins brutal qu’à Hong-kong.

À peine de retour à Hong-kong, je m’informe d’un steamer pour Manille. Le Leonor, petit vapeur de 400 tonneaux, naviguant sous pavillon espagnol, quoique appartenant à une maison anglaise, a annoncé son départ pour le 22 ; j’y prends passage. En arrivant à bord, je ne suis guère flatté d’y trouver 340 coulies chinois entassés sur l’avant, débordant jusqu’à l’entrée du salon, tandis qu’un chargement de légumes encombre tout le pont de l’arrière ; tout cela ne promet pas une traversée agréable. Heureusement elle ne doit durer que trois jours.

Du 22 au 26. — Tout en essayant de me caser à bord du Léonor, tout en regardant fuir une dernière fois les côtes de Chine couvertes de nuages sombres, je résume les impressions que me laissent ce séjour et les précédens, et je me pose la question, qui revient sans cesse, des mérites respectifs du peuple chinois et du peuple japonais. Sans contredit, le Japonais est plus affable dans ses manières, plus jovial, plus doux dans ses mœurs, son contact est infiniment plus attrayant, ses dehors sont plus séduisans, son esprit plus vif, plus éveillé, plus ouvert aux choses inconnues, plus curieux de nouveautés ; mais chez le Chinois ces dehors repoussans cachent une nature solide, une volonté inébranlable, une âpreté au