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alliées. Ce rapprochement est naturel, ajoutait-il, parce que l’esprit de l’émigration est et sera partout le même. Des hommes sans patrie diffèrent essentiellement dans leurs vues et dans leurs calculs de tous les autres citoyens : cette classe d’hommes, véritables cosmopolites, peuvent gagner beaucoup ; ils n’ont rien à perdre et par conséquent rien à défendre. Les moyens des puissances ne leur semblent exister que pour le soutien de leur cause ; ils ne ménagent pas ces moyens, parce qu’ils ne leur coûtent rien. »

Napoléon concevait de légitimes appréhensions sur la conduite future de l’Autriche. Il voulut à la fois la séduire et l’obliger à se déclarer. Il imagina de confier la régence à l’impératrice Marie-Louise, espérant ainsi lier les mains à l’empereur François ; puis il envoya M. de Narbonne en mission extraordinaire à Vienne, et lui donna le 27 mars pour instructions d’offrir à l’Autriche un partage de la Prusse pour prix de l’alliance entière qu’il lui demandait. Il était impossible de se méprendre plus complètement sur les dispositions de la cour de Vienne. Loin de songer à partager la Prusse, Metternich songeait à la reconstituer, et l’avait, le 17 mars, officiellement félicitée de sa défection. Il était lui-même presque lié à la Russie. M. de Lebzeltern négociait au camp russe depuis la fin de janvier. Le 31, le tsar avait fait savoir à Metternich qu’il accepterait volontiers la médiation de l’Autriche, si elle voulait rompre avec Napoléon ; il n’exigeait pas une déclaration ostensible, si la cour de Vienne la jugeait prématurée, il demandait seulement une convention secrète portant que l’Autriche s’engagerait à soutenir les alliés dans le cas où les négociations de paix qu’elle entamerait n’aboutiraient point. Metternich avait tâché de se soustraire à cet engagement, mais la Russie se montrait pressante et prodiguait les séductions. « Est-il possible, disait le tsar à Lebzeltern le 8 mars, que, toujours renfermés dans le vague, vous vouliez être devinés, ou qu’on se jette dans vos bras sans que vous daigniez dire une seule de vos pensées ? » Si l’Autriche refusait de répondre officiellement, Alexandre la priait de lui indiquer en secret ses conditions. « Je vous donne ma parole de les produire comme les miennes, et vous en ferez l’usage qu’il vous plaira… Ne faites pas plus d’armemens s’ils vous gênent… Entrez en possession du Tyrol, de l’Italie jusqu’à Mantoue, à votre convenance. Déclarez que vous ne voulez qu’entrer en possession de ce qui vous appartient, que vous ne voulez pas faire la guerre à la France, que vous vous placerez entre les puissances qui voudront l’attaquer ; nous vous seconderons en tout. Ensuite parlez d’un congrès général, et enfin alors vous négocierez dans les formes que vous voudrez. » C’était parler d’or, et Metternich cette fois se sentit compris. Le 2 avril, il déclara officiellement au ministre de Russie à Vienne que, « si la France devait ne