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influence des influences contraires ; en Allemagne, c’est la Prusse. » Il semble que Metternich prévoyait ces admirables instructions. Il se rendait compte que, sur ce chapitre de l’Italie, la France s’entendrait aisément avec la Russie, et qu’il faudrait, pour les diviser, sacrifier Murat aux Bourbons ou la Pologne et la Saxe à la Russie.

Le congrès de Vienne prouva que ces appréhensions étaient fondées. Metternich, qui avait plus d’une fois dirigé la coalition, fut rejeté au second plan, dans ces grandes assises diplomatiques dont il attendait le triomphe de sa politique. On peut dire que si Alexandre régna sur le congrès, Talleyrand le gouverna très souvent. Les alliés croyaient avoir réduit la France à un rôle très effacé ; mais, s’ils lui avaient ravi ses conquêtes et détruit ses armées, ils lui avaient rendu ses traditions. Forte de son désintéressement, elle commanda le respect à l’Europe victorieuse par l’élévation de son langage, et opposa aux alliés ce grand principe de la légitimité qu’ils avaient invoqué contre Napoléon et qu’ils n’étaient que trop enclins à méconnaître en Europe, après avoir, plus ou moins volontairement, contribué à le rétablir en France. Aux embarras que causait à l’Autriche la diplomatie de Louis XVIII s’ajoutaient des froissemens d’amour-propre qui devaient être particulièrement pénibles à un homme tel que Metternich. L’Autriche avait dû subir la hauteur dédaigneuse et l’imperturbable ironie de Talleyrand, alors qu’au nom du conquérant victorieux il tenait le langage de la force ; elle devait les subir encore lorsqu’au nom du roi légitime Talleyrand parlait la langue du droit. Gentz, dans son journal, ne dissimule ni l’impatience ni la surprise que causait à sa cour l’attitude de Talleyrand ; dans ses dépêches, il atténue autant que possible l’importance du rôle joué par les Français à Vienne ; il feint d’abord et affecte plus tard de nier en badinant le traité du 3 janvier 1815, où l’Autriche fut obligée d’accepter l’alliance française pour contenir les ambitions de la Russie et de la Prusse en Pologne et en Allemagne.

La France, sans doute, ne put faire prévaloir toutes ses vues ; mais, si elle ne modifia point complètement les desseins des alliés, elle contribua beaucoup à les modérer. Aussi lorsqu’après le funeste coup d’état du 20 mars la France fut de nouveau livrée aux colères des peuples et aux convoitises de ses ennemis, l’Autriche, sans aller aussi loin que la Prusse dans ses projets de démembrement, demanda la cession aux alliés de Landau, de Thionville et de Sarrelouis, la démolition de Huningue, le démantèlement de Strasbourg ou la transformation de cette place en ville libre non soumise à la France ; le tout accompagné d’une occupation militaire du territoire français et d’une forte contribution de guerre[1]. Metternich ne désirait pas

  1. Gentz, 5 septembre 1815.