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petit nombre de Français), ni celles qui ont pris part à sa première éducation ; on a choisi pour lui un gouverneur (le comte Maurice Dietrichsheim) d’une grands famille et d’un caractère respectable, mais de peu de moyens et tellement timide, qu’il craindrait de se compromettre par les progrès mêmes de son élève. On va si loin que l’on voudrait même le détacher tout à fait de la langue française et ne lui laisser d’autre organe que l’allemand, auquel toutefois cet enfant, d’ailleurs si intelligent, a une difficulté extrême de s’habituer. Enfin, si la maison d’Autriche avait pris l’engagement sacré, non-seulement de combattre la dynastie de Napoléon, mais encore de calmer quiconque en Europe pourrait s’inquiéter de son ombre, on n’aurait pas pu adopter un système plus conséquent. » Gentz se trompe : ce système ne résultait pas d’une politique forte et conséquente avec elle-même ; mais il était une suite nécessaire des illusions, des faux calculs et des ambitions mal réglées de la cour de Vienne. Les raisons qui firent condamner à un étiolement systématique le fils de Napoléon amenèrent aussi l’Autriche à enfermer Silvio Pellico dans les casemates du Spitzberg, C’était de la politique détestable, car elle était cruelle et inutile, et l’Autriche devait en payer chèrement les conséquences. Gentz, qui porte sur le congrès de Vienne un jugement à la fois superficiel et passionné, mais en tout cas très sévère, ne voit dans l’acte final de ce congrès que des dispositions de détail et des arrangemens fragmentaires ; le seul mérite qu’il y reconnaisse, c’est d’avoir facilité les voies pour une constitution plus parfaite. « Rien, dit-il, n’empêchera désormais les cabinets de travailler en grand ; le traité qui vient de s’achever a aplani le terrain sur lequel pourra s’élever un meilleur édifice social. » Ce que Gentz entendait par là, ce n’était pas la réforme des plus graves imperfections de l’œuvre de 1815, ce n’était pas une constitution de l’Europe répondant aux aspirations nationales de ces peuples, que l’on n’avait armés contre le despotisme de Napoléon que pour les soumettre à un autre despotisme, moins rude peut-être, mais plus énervant et tout aussi insupportable à la longue ; ce qu’il entrevoyait, d’ailleurs très vaguement, c’était une sorte de système politique destiné à maintenir l’ordre public, à contenir les ambitions des conquérans, à assurer les droits de chaque état par une sanction universelle et des mesures de protection ; c’était l’utopie d’une paix perpétuelle organisée pour le plus grand profit des souverains et la plus grande gloire de l’Autriche. Gentz ne se doutait guère que le jour où, selon son expression, les cabinets voudraient « travailler en grand » et réformer l’œuvre de 1815, cette réformé consisterait à chasser l’Autriche de l’Italie, à détruire son influence en Allemagne, et que les deux hommes auxquels cette