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mission était réservée, M. de Cavour et M. de Bismarck, trouveraient l’instrument docile de leurs desseins dans l’héritier même de ce nom de Napoléon que l’on avait voulu effacer de l’histoire du monde.


IV

Après le congrès et dans les premières années qui suivirent, tout se réunissait pour faire de l’Autriche la puissance la plus pacifique de l’Europe. Les dernières campagnes l’avaient épuisée, elle n’avait point de finances et son état militaire était tellement réduit que, si elle était appelée un jour à agir, elle ne pouvait le faire, au témoignage de Gentz, qu’au moyen de pénibles efforts. Elle redoutait donc la guerre, et comme il n’y avait de guerre vraisemblable qu’en Orient, c’est de ce côté que se tournèrent désormais les principales préoccupations de Metternich. Pendant toutes les négociations de 1813 et de 1814, il avait songé aux moyens d’obtenir des puissances une garantie de l’intégrité de l’empire ottoman. « Ses intentions à cet égard sont invariablement les mêmes, écrivait Gentz en janvier 1815 ; il regarde non-seulement comme un devoir vis-à-vis de notre plus fidèle alliée, mais encore comme un point essentiel pour les intérêts de l’Autriche, d’insister dans l’arrangement définitif avec la Russie sur la garantie des possessions ottomanes. » Le retour de l’île d’Elbe bouleversa toutes ces combinaisons ; il fallut renoncer à la garantie, et dès lors les craintes d’une collision en Orient ne cessèrent pour ainsi dire plus d’agiter Metternich. La Russie maintenait son armée sur le pied de guerre ; la Porte, disait-on, loin de craindre une lutte avec la Russie, « ne demanderait pas mieux que de la voir éclater. » Il y eut une première alerte dès le mois de janvier 1816 ; il y en eut une nouvelle l’année suivante à la même époque. Gentz cependant trouvait dans le danger même des motifs de se rassurer. « Les fabricans de romans politiques, en parlant de la conquête de l’empire ottoman comme de la petite pièce d’une grande tragédie, écrivait-il, n’ont jamais approfondi cette immense question… Du moment que l’Autriche et l’Angleterre commettraient l’étrange folie de s’associer à la Russie pour dépouiller, la Porte, la Prusse, pour ne pas rester en arrière, envahirait la moitié de l’Allemagne. Toutes les puissances de second ordre, à moins qu’on ne les anéantisse toutes, voudraient s’agrandir en proportion. Il en résulterait sur-le-champ le bouleversement total de l’Europe. » C’étaient là de fort bonnes raisons, mais toute la sagesse du monde ne prévaut pas contre la force des choses, et les inquiétudes augmentèrent chaque année. C’est qu’une