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là aux 500 ou 600 millions de francs annuellement fournis au trésor français par les droits sur les actes ; mais plus l’intervalle à franchir est grand et plus, en dépit de l’infériorité de la richesse mobilière en Russie, le budget russe a de marge pour l’avenir. La progression continue de l’enregistrement témoigne du développement des transactions encouragées par la fondation de nombreuses banques. Le revenu de cet impôt a doublé dans les cinq dernières années ; avec le maintien de la paix, il pourrait doubler encore dans les cinq années suivantes.

Au timbre et à l’enregistrement, à la section des droits (pochliny) le budget russe rattache trois ou quatre impôts divers, passeports, droits de navigation, péages sur les chaussées et autres menues taxes, donnant ensemble 5 ou 6 millions de roubles. La première, celle sur les passeports, mérite l’attention, comme étant l’un des impôts qui montrent le mieux le caractère encore archaïque du budget russe et les vexations infligées par le fisc au contribuable. Cette taxe donne annuellement 2 millions et demi de roubles, c’est-à-dire presque autant que donnait l’enregistrement il y a une dizaine d’années. Ces passeports n’entravent pas seulement la liberté du commerce, mais aussi la liberté d’aller et venir. Pour l’étranger, le droit est de 10 roubles ; sous l’empereur Nicolas, il était de 250 ou de 1,000 francs. A l’intérieur, le droit est de 85 kopeks pour six mois, et d’un rouble 45 kopeks pour un an, et il faut un passeport à tout commerçant, paysan, ouvrier, s’éloignant de sa demeure de plus de 30 verstes, ou autrement dit de plus de six lieues. Il est inutile de montrer de quelle gêne est une pareille restriction à la liberté des voyages dans un pays où les distances sont si grandes, et où une notable partie de la population est condamnée par le climat ou la pauvreté du sol à passer périodiquement la moitié de l’année hors de ses foyers. Ces passeports se rattachent, du reste, à tout le système financier comme au régime administratif russe ; c’est une conséquence et une aggravation de la solidarité communale pour l’impôt personnel. À ce titre, le passeport pourrait être regardé comme un moyen de perception ou un moyen de contrôle fiscal autant que comme un procédé administratif et un moyen de police. C’est le corollaire et comme le couronnement de la capitation, et de même que cette dernière, de même que la solidarité de l’impôt personnel, c’est un reste de l’époque du servage, c’est une dernière précaution du fisc qui, après avoir longtemps enchaîné le taillable à la glèbe, s’attache à ses trousses depuis son émancipation. C’est encore là un des points essentiels de la grande réforme à opérer dans l’assiette, dans la répartition et dans la perception de l’impôt direct.