Page:Revue des Deux Mondes - 1876 - tome 18.djvu/857

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
III

Le total des recettes provenant des revenus ordinaires de l’état russe est évalué, pour l’exercice 1876, à 534,791,000 roubles ; en 1875, elles se sont élevées à 576 millions. Là-dessus, le budget ne reçoit de l’impôt direct que 130 millions de roubles, du timbre et de l’enregistrement, des passeports et de quelques droits accessoires que 22 millions environ. La plus grande partie du reste doit être, comme ailleurs, fournie par les impôts indirects (kosvennye naloghi), et spécialement par l’impôt sur les objets de consommation. Le trésor comptait toucher de ce chef, en 1876, près de 218 millions de roubles, indépendamment des droits sur la consommation perçus à la douane. Une seule taxe fournit la plus grande partie de cette somme, c’est l’accise des boissons, ou mieux l’accise de l’alcool, de l’eau-de-vie de grain, de la pâle vodka, car les autres boissons, le vin, la bière, l’hydromel des vieux Slaves, n’apportent à l’impôt qu’un tribut insignifiant. Le produit des spiritueux est, pour 1876, évalué à 192 millions ; en 1875, la même taxe a donné 197 millions, soit 11 millions de plus que les prévisions ; en 1874, elle avait rendu plus de 200 millions de roubles et dépassé de 21 millions les évaluations budgétaires. C’est en moyenne plus du tiers, c’est près des deux cinquièmes du revenu total du pays, en sorte que l’on peut dire que c’est en buvant que le Russe paie les dépenses ou les emprunts de son gouvernement.

Si tous les états modernes, tirant un avantage public des vices privés, doivent à l’intempérance une bonne part de leurs recettes, en aucun pays l’alcool n’est pour l’état une source de revenu aussi abondante, et le cabaretier un aussi précieux agent du fisc. La raison n’en est pas le penchant à l’ivresse, le vice du Russe, qui, malgré le préjugé contraire, boit proportionnellement moins que certains peuples germaniques. La raison n’en est même pas le climat, qui rend l’usage des spiritueux plus utile et l’abus moins funeste que sous un ciel plus clément. Le vrai motif de cette prédominance, de cette sorte de souveraineté de l’alcool sur le budget russe, c’est toujours l’état économique du pays, son peu de richesse accumulée et la pauvreté de la masse des contribuables. Certes il est fâcheux pour un peuple de voir ses finances reposer sur une telle base et tout l’équilibre budgétaire appuyé sur le kabak (cabaret’). Il est permis aux philanthropes de rêver aux moyens de modifier un tel état de choses ; il n’est guère permis d’espérer y parvenir dans un avenir prochain. L’impôt direct est écrasant ; l’impôt indirect, pour être productif, doit frapper les objets d’une consommation universelle.