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dans cette merveilleuse langue du XVIIIe siècle, claire comme eau de roche. « Le simple ouvrier, dit Turgot, qui n’a que ses bras, n’a rien qu’autant qu’il parvient à vendre à d’autres sa peine. Il la vend plus ou moins cher, mais ce prix plus ou moins haut ne dépend pas de lui seul ; il résulte de l’accord qu’il fait avec celui qui paie son travail. Celui-ci le paie le moins cher qu’il peut, et comme il a le choix entre un grand nombre d’ouvriers, il préfère celui qui travaille au meilleur marché. Les ouvriers sont donc obligés de baisser leur prix à l’envi les uns des autres. En tout genre de travail, il doit arriver et il arrive en effet que le salaire de l’ouvrier se borne à ce qui lui est nécessaire pour lui procurer sa subsistance. » Ces quelques lignes contiennent tout le système de Marx et de Lassalle.

Voyons maintenant jusqu’à quel point la fameuse « loi d’airain » du salaire est conforme à la réalité. Il y a une remarque préliminaire à faire. La plupart des économistes modernes ont fait, des influences qui règlent le salaire, des lois naturelles qui s’imposent inéluctablement comme celles qui gouvernent les phénomènes physiques, et qu’il est donc inutile et même absurde de vouloir changer ; mais c’est là une manière de voir complètement erronée. Certes, étant données l’organisation sociale, les mœurs et les habitudes actuelles, résultats de notre histoire, les lois réglant le salaire en sont la suite « naturelle ; » mais ces lois, ces institutions dont elles sont la conséquence, sont des faits contingens, sortant du libre arbitre humain. Les hommes, qui en sont les auteurs, peuvent donc les changer, ainsi qu’ils l’ont fait tant de fois dans le cours des siècles, et alors les suites « naturelles » en seraient tout autres. Il n’y a donc pas en économie politique des enchaînemens nécessaires de faits sur lesquels nous n’avons aucune prise comme nous en présente le monde physique au sein duquel nous vivons. Nous subissons les lois cosmiques, nous faisons les lois sociales. Les unes sont immuables et ont leurs racines dans la constitution de l’univers. Les autres changent de siècle en siècle, à mesure que la marche de l’histoire fait naître d’autres types de civilisation.

Ceci étant admis, reste à voir si dans l’état social actuel « la loi d’airain, » se réalise avec cette rigueur fatale décrite par Lassalle à la suite de Riccardo, de Smith et de Turgot. Ce qui d’abord est certain, c’est que le taux du salaire ne peut rester longtemps au-dessous de ce qui est indispensable aux ouvriers pour subsister et se perpétuer, car leur nombre ne tarderait pas à diminuer. Ce n’est pas qu’on les voie mourir de faim comme aux époques de famine au moyen âge et même encore sous Louis XIV ; ainsi que le dit très bien Friedrich Lange, ils meurent par les mêmes causes qu’en