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ce sera dès lors un « bourgeois, » vivant comme un « bourgeois, » ce qui excitera la jalousie de ses camarades. Son traitement sera à peu près égal aux bénéfices que fait le patron isolé, et ainsi il n’y aura nulle économie qui puisse grossir le salaire. Cet inconvénient n’existerait pas dans une très grande affaire, roulant sur des millions, où les appointemens du directeur ne forment qu’une partie très minime du total des transactions ; mais les sociétés coopératives, constituées avec les épargnes des ouvriers, sont presque toujours de très petites affaires.

Ces difficultés inhérentes au système coopératif ont été parfaitement indiquées, même par ses partisans, dans les débats du congrès ouvrier réuni à Paris en octobre dernier, et l’on a pu y constater un remarquable progrès de l’éducation économique des classes laborieuses en France. Ainsi le congrès a tout d’abord admis le paiement d’un intérêt et même d’un dividende au capital, abandonnant ainsi la chimère longtemps caressée du crédit gratuit. Le citoyen Nicaise, rapporteur de la sixième commission, a prononcé à ce sujet des paroles excellentes : « Le principe de Cabet, de chacun selon ses forces à chacun selon ses besoins, ne peut nous convenir, parce qu’il est injuste. Si je dois travailler, moi sobre et laborieux, pour celui dont la paresse est aussi grande que l’appétit est dévorant, je suis entraîné, à moins d’être un saint, à dissimuler mes facultés productives et à rechercher la satisfaction de ce penchant à mieux vivre qui est dans la nature humaine. Saint-Simon, au milieu d’erreurs dont nous n’avons pas à nous occuper ici, proclame un principe bien supérieur : à chacun suivant sa capacité, à chaque capacité suivant ses œuvres. Nous retenons ce principe. » Le principe sur lequel M. Louis Blanc voulait baser l’atelier coopératif est ici nettement répudié, et au contraire l’efficacité du ressort de l’intérêt individuel parfaitement mis en lumière. C’est là le fondement nécessaire de toute économie politique, de toute administration, de toute organisation politique. En tout, les affaires humaines seront bien ou mal conduites, selon que la responsabilité de chacun est bien ou mal déterminée. « Nous croyons, dit encore le citoyen Nicaise, être plus près de l’opinion générale des ouvriers en fondant nos associations sur la base du paiement de l’intérêt et même de dividendes au capital. Si l’épargne de l’ouvrier ne trouve pas un placement avantageux dans les associations, elle continuera à prendre une direction plus en rapport avec son intérêt, et les associations recommenceront leur course au capital ou devront accepter l’argent des capitalistes. »

Le citoyen Nicaise et un autre ouvrier, le citoyen Masquin, qui fait partie de la « Société coopérative des typographes, » ont