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Réole ; elle vit Turenne et chercha en vain à le faire retourner à la messe. La scène suivante peint on ne peut mieux les mœurs du temps. On devait s’aboucher à Auch pour négocier la réconciliation complète des deux partis. « Nous arrivâmes à Auch sur le midy où nous ne trouvâmes la reine, estant allée à une tente de Palombes, le mareschal de Biron et autres personnes de qualité estant avec elle ; nous trouvâmes la reine Marguerite et les filles, le roy de Navarre et ladite reine se saluèrent et se témoignèrent plus de préparation à un accommodement qu’ils n’avoient fait les autres fois qu’ils s’étoient vus, les violons vinrent, nous commençâmes tous à danser. — La danse continuant, le jeune Armagnac arrive, estant parti de Nérac, dépesché vers le roy de Navarre pour l’avertir que la nuit précédente La Réole, qui estait une des villes de seureté, avait été surprise par le Chasteau. Il fit son message à l’oreille du roy, qui soudain m’appela ; le premier mouvement fut, si nous estions assez forts pour nous saisir de la ville, il fut jugé que non ; soudain je dis qu’il nous fallait sortir, et qu’avec justice nous pourrions nous saisir du mareschal de Biron et autres principaux qui estoient avec la reine, pour r’avoir La Réole ; nous prenons congé de la compagnie… » (Mémoires de Bouillon.)

On n’arrêta pas le maréchal, mais on surprit Fleurance, qui fut échangé contre La Réole. Pendant qu’on discutait les articles de la conférence dite de Nérac, Turenne eut une querelle avec les Duras. On résolut de se battre sur le gravier d’Agen ; un des Duras contre Turenne, l’autre contre un baron de Salagnia, dont Turenne, suivant la mode du temps, demanda l’assistance. Pendant la bataille, arrivèrent neuf ou dix hommes de Duras, qui commencèrent à charger Turenne de tous côtés : « Ils me donnèrent vingt-huit coups, puis il y en avait vingt-deux qui me tiraient du sang et les autres dans mon habillement, je ne tombe ni mes armes ; pensant m’avoir donné assez de coups, ils me laissent. » Turenne fut promptement guéri à Nérac ; mais le guet-apens des Duras ne fut point puni.

De nouveaux remuemens se préparaient : on rompit quelques écus, dont les moitiés restèrent entre les mains du roi de Navarre, de M. le Prince et des principaux du parti. M. le Prince partit avec quelques hommes de Saint-Jean, barbe et cheveux teints, défiguré, et alla dans le nord surprendre La Fère. Ce fut le signal d’une nouvelle prise d’armes. Turenne reçut le commandement du Haut-Languedoc : il n’était pas fâché de sortir de Guienne pour avoir une charge où il fût seul, et aussi, dit-il, « pour m’éloigner des passions qui tuent nos âmes et nos corps, après ce qui ne leur porte que honte et dommage. »

Le roi d’ailleurs avait écrit au roi de Navarre qu’il savait de science certaine que la reine de Navarre avait une intrigue avec