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ne sont pas venues de M. le président de la république. M. Jules Simon n’a cru pouvoir accepter qu’à une condition, c’est que M. Dufaure, en gardant la présidence du conseil sans portefeuille, abandonnerait les sceaux. M. Dufaure, de son côté, n’a pas cru de sa dignité de rester le chef nominal d’un cabinet où il cesserait d’avoir l’administration de la justice française. Il aurait néanmoins consenti à la formation d’un ministère des cultes qui aurait été confié à un des membres distingués du centre gauche, M. Bardoux. Ce cabinet qui, un instant, a paru exister, n’a pas survécu à une explication, et c’est alors sans doute que la situation a pris quelque gravité ; c’est à ce moment d’incertitude qu’ont pu être débattues toutes les éventualités, même celles d’un ministère purement conservateur et d’une dissolution de la chambre. On ne s’est jamais arrêté sérieusement à ces projets. La dernière combinaison enfin est celle qui a réussi, qui existe depuis hier avec M. Jules Simon, président du conseil et ministre de l’intérieur, avec M. Martel, ministre de la justice. En réalité, à travers toutes ces péripéties qui conduisent à la reconstitution pénible du cabinet, M. le président de la république n’a cessé de montrer une loyauté complète, une pensée invariable de modération et de conciliation. Il s’est prêté à tous les essais, il a laissé toute liberté aux nouveaux ministres dans le choix et la direction du personnel administratif. Il n’a été inébranlable que sur un seul point : à aucun prix il n’a voulu consentir à se séparer du ministre de la guerre, du général Berthaut. A ses yeux, la nécessité de soustraire tout ce qui intéresse la réorganisation militaire de la France « aux hasards et aux fluctuations de la politique » a plus que jamais la force impérieuse d’un devoir. M. le général Berthaut est à peine à l’œuvre depuis quelques mois ; son éloignement serait encore une perte de temps, et on n’a pas le droit de perdre du temps. Tout cela, M. le maréchal de Mac-Mahon paraît l’avoir dit sans affectation, sans faiblesse, surtout sans aucune préoccupation de politique intérieure, et on a du s’incliner devant le patriotisme du soldat qui met au premier rang de ses prérogatives l’obligation de veiller sur la sécurité du pays. Après tout, M. le maréchal de Mac-Mahon a peut-être autant de titres que M. Floquet, M. Louis Blanc et même M. Gambetta à choisir un ministre de la guerre et à s’occuper des intérêts militaires de la France !

Que cette reconstitution d’un cabinet, où il n’y a pourtant que deux ministres nouveaux, ait été laborieuse, qu’elle ait eu à triompher de plus d’une difficulté intime, rien n’est plus évident. Elle serait devenue rapidement et absolument impossible, si les agitations qui s’y sont mêlées pour la compliquer et l’aggraver avaient été aussi puissantes et aussi décisives que bruyantes. C’était une affaire de parlement sans doute ; la chambre des députés avait bien le droit de s’intéresser aux combinaisons, tour à tour proposées ou essayées, comme elle a aujourd’hui incontestablement le droit d’interroger les nouveaux ministres qui