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vont se présenter devant elle. Cette faculté, avec la sanction d’un vote de confiance ou de défiance, c’est sa prérogative à elle. Ce qui ne rentre dans aucun ordre de prérogatives ou de facultés, ce qui ne ressemble à aucune politique sérieuse, c’est ce qui s’est passé à Versailles depuis près de quinze jours. Il faut que les meneurs de partis se résignent à entendre la vérité : ils se sont livrés dans ces dernières semaines à de telles effervescences, à de telles démonstrations, ils ont tellement prodigué les défis, les délibérations solennelles, les ultimatums, qu’ils ont fini par ne point échapper à un certain ridicule. On le leur a dit en pleine séance, et ils se sont emportés : ce n’était pourtant qu’un écho de ce qu’ont pensé tous les hommes de sang-froid d’un sentiment public. Dans quelle atmosphère vit-on à Versailles pour n’avoir pas vu que tout ce qu’on faisait était démesuré, pour n’avoir pas senti la puérilité, le danger de toutes ces tactiques, de toutes ces agitations ? A peine a-t-elle été ouverte, cette crise qu’on avait provoquée, les esprits se sont montés, tout ce monde parlementaire s’est échauffé, et peu s’en est fallu vraiment qu’on ne proclamât la patrie en danger ! Sans le vouloir, sans y prendre garde, on est allé jusqu’au bord des manifestations et des interventions révolutionnaires. Nous ne parlons pas, bien entendu, des radicaux, qui n’ont vu là qu’une bonne occasion de réclamer la « suppression du maréchal, » la suppression de la présidence et du sénat, la suppression de la constitution. Ceux-là sont dans leur rôle. Ce qu’il y a de plus étrange, c’est que la fièvre a pénétré un peu partout.

La gauche s’est réunie, l’union républicaine s’est réunie, le centre gauche lui-même n’a pas voulu être le dernier à se réunir ; tous ces groupes se sont rencontrés ensemble, et on a rédigé en commun des résolutions, des programmes ; on a déclaré qu’on était d’accord sur « l’appréciation des causes de la crise actuelle, » que la majorité ne donnerait son concours qu’à un cabinet « vraiment parlementaire, » résolu à l’épuration du personnel administratif et judiciaire. Bientôt on est allé plus loin et on a dit sans façon : « La majorité républicaine entend qu’on discute avec elle les conditions d’existence d’un cabinet constitutionnel et parlementaire. » Ce n’est même pas tout : il y a eu évidemment une tentative pour ajourner le vote du budget des recettes, pour subordonner ce vote à la constitution du ministère. C’était ni plus ni moins la menace d’un refus de l’impôt, et, comme si le trouble était contagieux en certains momens, comme si les choses les plus extraordinaires semblaient toutes simples, voilà un homme grave, le président de la chambre lui-même, M. Jules Grévy, qui a cru devoir déclarer que c’était « très rationnel. » M. le président de la chambre nous permettra de penser qu’il choisissait étrangement son heure pour intervenir par l’expression d’une opinion personnelle. Ce qu’il a dit aurait pu en effet être « très rationnel » dans des circonstances ordinaires ; dans les conditions présentes, c’était sanctionner de son autorité une tactique