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entraîner le pays dans les aventures, et on sait sans doute aussi ce que deviendrait la république dans ces jeux de hasard où triompherait bientôt la force, — une force qui a un nom connu aujourd’hui !

Voilà les conséquences possibles, — peut-être irrésistibles si l’on veut aller au hasard, — de ces falsifications du régime parlementaire, de ces mouvemens turbulens, de ces abus d’une prétendue majorité. Une prétendue majorité, disons-nous : est-ce qu’elle existe en effet d’une manière sérieuse, au moins comme une force organisée de gouvernement ? Sans doute, nous le savons bien, on le répète sans cesse comme si on n’en était pas bien sûr, les gauches sont d’accord, elles se sont réunies ; le centre gauche a fraternisé avec l’union républicaine, et M. Louis Blanc lui-même a pu paraître un instant, l’autre jour, le leader de la majorité dans la campagne pour la suspension du vote du budget des recettes ; c’est un avantage pour la majorité d’avoir M. Louis Blanc pour leader ! mais enfin il ne faut pas se payer de mots, sur quoi repose cette alliance ? Que les divers groupes se retrouvent d’accord, comme ils l’ont été plus d’une fois, si le principe des institutions était mis en doute, c’est possible, c’est vraisemblable ; au-delà, est-ce qu’on entend la république de la même façon ? Est-ce que les membres du centre gauche, M. Germain, M. Bardoux, partagent les idées de l’union républicaine sur la politique, sur l’application du régime constitutionnel, sur tout ce qui touche à la direction pratique du gouvernement ? Est-ce que les partisans de la république conservatrice, libérale, sont disposés à suivre ceux qui sont toujours prêts à glisser dans la république dictatoriale et conventionnelle ? S’il y a des politiques différentes, comme on peut le croire, cette majorité dont on ne cesse de parler n’est qu’une fiction, un artifice de tactique et de circonstance.

C’est là précisément l’équivoque sur laquelle on prétend fonder des combinaisons, et cette équivoque, le centre gauche, plus que tous les autres groupes, est intéressé à la dissiper pour son crédit, pour l’honneur même de ses opinions, il est intéressé à ne pas se laisser absorber dans cet amalgame, à se dégager d’une situation fausse où il n’a ni un rôle précis ni une initiative sérieuse. Que les esprits sensés et réfléchis du centre gauche y songent bien. Évidemment ils n’ont aucune raison d’être satisfaits d’eux-mêmes et de la position incertaine, à demi effacée, où ils se trouvent. Dans la dernière assemblée, pendant cette campagne qui a été couronnée par le vote de la constitution, le centre gauche a eu visiblement une action décisive, il a conduit le mouvement ; aujourd’hui, sous prétexte de ne pas se séparer de la majorité, il est réduit à suivre le mouvement, quelquefois en gémissant et avec mauvaise humeur, le plus souvent avec une résignation qui ne rehausse pas son autorité et dont il risque fort de n’être pas récompensé. Le mal de cette situation, c’est qu’on n’ose pas toujours dire tout haut ce qu’on pense, accepter les ruptures inévitables, et qu’on recule devant la nécessité de