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presque ce chiffre ; vers 1860, le capital de la dette consolidée était de 515 millions de roubles, ou 2 milliards 60 millions de francs. Depuis lors, l’émancipation des serfs, l’insurrection de Pologne, la création des chemins de fer, ont triplé en quinze ans les charges du trésor. Des dix dernières années, 1868 et 1874 ont été les deux seules où la Russie n’ait pas emprunté à l’étranger, et chacun de ces emprunts annuels a été d’une centaine de millions de roubles. Avant le récent emprunt intérieur de 100 millions en papier, le capital nominal de la dette non amortie dépassait déjà 1 milliard 1/2 de roubles et flottait entre 6 et 7 milliards de francs. Ce chiffre n’a rien d’énorme pour un si vaste empire et n’aurait rien d’effrayant, si l’état n’avait d’autre fardeau que sa dette à intérêts.

La dette consolidée de la Russie a ceci de particulier qu’elle se divise en deux catégories : une dette extérieure empruntée à l’étranger et payable en monnaie métallique, une dette intérieure empruntée au-dedans de l’empire et payable en papier. La première est aujourd’hui la plus considérable et provient des emprunts les plus récens. Ce seul fait indique une situation monétaire embarrassée. Pour la Russie, la dette extérieure n’est pas seulement, comme dans les états orientaux ou comme en Espagne, la conséquence de l’impuissance des nationaux à satisfaire aux besoins du trésor, elle est aussi un des résultats du régime du papier-monnaie sous lequel vit l’empire depuis de trop longues années. Pour diminuer le trop plein de son papier ou pour en relever les cours à l’aide de réserves métalliques, le gouvernement russe a eu besoin de faire appel à l’or étranger. Une partie du numéraire ainsi obtenu a formé l’encaisse de la banque d’état, une autre a servi aux travaux publics, aux chemins de fer surtout. C’est en Hollande d’abord, puis en Angleterre, que la Russie a contracté la plupart de ses emprunts, en sorte que la Grande-Bretagne a fourni à sa rivale une bonne part de ses ressources financières, et qu’en leur qualité de créanciers du tsar, les Anglais sont aujourd’hui le peuple le plus intéressé à la prospérité de ses états.

Les intérêts du service de la dette consolidée ont exigé en 1875 107 millions de roubles et sont inscrits au budget de prévision de 1876 pour 108 millions. Ce n’est guère qu’un cinquième du total des dépenses budgétaires, ce qui est une proportion plus favorable qu’en France ou en Angleterre[1]. Là-dessus les annuités pour la

  1. Ce chiffre comprend, outre le service des intérêts, le service de l’amortissement, qui fonctionne avec rapidité et régularité, la plus grande partie de la dette étant à terme et non perpétuelle. Ce système, dans un pays qui a besoin d’argent pour mettre ses ressources en valeur, entraîne à des emprunts successifs. C’est ce qui s’est vu en Russie. De 1871 au 1er janvier 1874, le trésor russe a remboursé pour 88 millions de roubles, ou 352 millions de francs, mais dans la même période il a emprunté près de 300 millions de roubles, plus de 1 milliard de francs. L’amortissement ainsi pratiqué est plus apparent que réel et a peut-être plus d’inconvéniens que d’avantages, car le gouvernement se trouve obligé de faire face à la fois à l’amortissement et aux intérêts de sa dette, ce qui, dans les momens de crise où il lui est difficile d’emprunter, complique sa situation.