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France[1], une banque en possession du cours forcé est comme un réservoir qui reçoit toujours et ne rend jamais. Le cours forcé sert de barrage pour empêcher l’écoulement des métaux précieux. En Russie comme en France, bien qu’à un moindre degré, il s’est accumulé dans les caves de la banque des réserves métalliques qui, en cas de nécessité, mettraient à la disposition du gouvernement des sommes considérables, aussi facilement disponibles que le traditionnel trésor de guerre enfoui par la Prusse dans les caves de la citadelle de Spandau. L’encaisse métallique de la banque de l’état, or, argent et fonds étrangers réunis, s’élevait au 1er janvier 1876 à la somme fort respectable de 231 millions de roubles, soit 924 millions de francs. C’était presque la moitié de l’encaisse de la Banque de France à la même époque.

Ces réserves métalliques n’ont pas été amassées dans le dessein de faire face aux événemens d’Orient. Ce n’étaient pas des emprunts astucieusement réalisés dans les beaux jours de la paix pour les jours d’inquiétude où les capitalistes d’Occident refuseraient leur concours au trésor russe. Le but de ces réserves était de servir de garantie, de couverture aux billets de crédit, après qu’aurait été retiré l’excédant du papier en circulation. La banque de l’état, on doit le reconnaître, n’a pas été infidèle à cette mission ; dès ses premiers jours et jusque dans le cours de l’année qui vient de s’écouler, au milieu même des complications actuelles, la banque a procédé consciencieusement à son œuvre. Une ou deux fois elle a failli y réussir, et au moment où le papier semblait sur le point de remonter au niveau du métal, les événemens sont venus en ravaler de nouveau les cours. En 1863 par exemple, à la veille de l’insurrection polonaise, le billet de crédit perdait à peine quelques centimes sur le rouble métallique. Le soulèvement des Polonais remit tout en question; la banque dut arrêter ses retraits de papier. Le billet se relevait quand la campagne de Sadowa vint de nouveau le rejeter en arrière. En juin 1866, le rouble était, comme dans ces derniers temps, au-dessous de 3 francs. Il se remit à remonter encore une fois, mais lentement, comme il convenait après tant de secousses. Depuis la guerre de 1870, le rouble ne perdait plus que 15 ou 12 pour 100, et les cours semblaient devoir s’améliorer progressivement jusqu’à laisser entrevoir l’époque où la Russie pourrait ainsi sortir du papier-monnaie. Les budgets étaient en équilibre, la circulation fiduciaire était ramenée à un chiffre presque normal, l’encaisse métallique étant aux billets de crédit dans la proportion d’un cinquième ou d’un quart. Les affaires d’Orient sont encore une fois venues fermer, pour longtemps peut-être, toutes ces consolantes

  1. M. Victor Bonnet, — Revue du 15 novembre 1876.